Jam
Bingo Fury est sans doute l’incarnation de ce qui rend la scène anglaise si excitante. Défiant les genres, le quintet de Bristol conjugue le lyrisme d’un Leonard Cohen et le jazz avant-gardiste dans une confusion aussi géniale que burlesque. Un peu comme si Black Country, New Road s’inspirait de motifs bruitistes pour composer la bande-son d’un cabaret. À l’occasion de la sortie du tout premier EP du groupe, “Mercy’s Cut”, Jam. a pu rencontrer celui qui se cache derrière Bingo Fury, le charismatique Jack Ogborne.
Hello Jack, Bingo Fury vient de sortir son premier EP “Mercy’s Cut”? Comment te sens-tu en ce moment ?
Jack : Ça va super ! On a joué un concert hier soir à la maison, à Bristol, pour un festival. Le public avait vraiment l’air d’être connecté à notre musique. C’était un très chouette moment. On était tous impatients de dévoiler ces nouveaux morceaux !
Votre musique est assez unique. Comment la décrirais-tu ?
Jack : C’est dans ce genre de moments que je me dis que faire une interview en face-à-face, c’est vraiment compliqué ! Par mail, j’aurais pu penser à ma réponse pendant 2 jours (rires).
Je dirais que c’est une sorte de “jazz lounge dévergondé”. C’est une musique très émotionnelle. En tout cas, elle l’est pour moi. On nous dit souvent que l’on fait de la musique compliquée ou “intelligente” ou je ne sais quoi. Mais la dernière chose que je veux, c’est d’aliéner les gens. Je ne veux pas jouer au plus malin et faire de la musique inaccessible. Mais pour des raisons étranges, j’ai toujours été attiré par les sons dissonants (rires).
L’objectif aujourd’hui n’est pas tant de proposer quelque chose de neuf mais de débarquer avec une combinaison inattendue de choses existantes.
Comment en êtes-vous arrivés à jouer ce genre de musique ? Avais-tu un son bien défini dans ta tête ? Ou est-ce le résultat d’un voyage expérimental à travers différents genres ?
Jack : Ça a été un long processus (rires). Avec Henry (batterie) et Meg (basse), on joue ensemble depuis qu’on a 15 ans. On a eu plein de groupes différents. Avec notre premier groupe, on jouait des reprises des Strokes et puis on a commencé à incorporer des éléments plus étranges dans notre musique. Graduellement, c’est devenu 70% bizarre et 30% indie. Maintenant, je pense qu’on a basculé dans le 100% bizarre (rires).
Tellement de choses ont été faites dans l’histoire de la musique que l’objectif aujourd’hui n’est pas tant de proposer quelque chose de neuf mais de débarquer avec une combinaison inattendue de choses existantes. Prenez deux artistes ou deux styles qui n’iraient d’ordinaire pas ensemble et essayez de les assembler pour voir ce que ça donne. C’est un peu ce que l’on fait avec Bingo Fury.
A l’écoute de ce premier EP, on y décèle des influences issues du jazz et de la musique bruitiste. Est-ce quelque chose que vous avez toujours écouté ? Avez-vous une formation jazz ?
Jack : Non, pas du tout. Enfin, Harry qui joue du cornet dans le groupe, vient d’un background plutôt jazz. Mais, en général, on n’a pas vraiment de vraies connaissances théoriques. Notre son, cette dissonance, vient probablement de notre manque de technique (rires). On ne parvient pas à exécuter cette musique comme le feraient de vrais musiciens jazz.
La musique que l’on joue est très expressive dans le sens où on livre tous nos sentiments en jouant nos instruments. Je joue de la guitare mais je ne sais pas exactement comment m’en servir. Je ne connais pas mes gammes mais j’essaie de transmettre ce que je ressens en faisant du bruit (rires). Je suppose qu’en cela, la démarche est un peu similaire au jazz.
Il y a pas mal de piano sur ce premier EP. Est-ce que tu composes d’abord sur cet instrument ?
Jack : Je dirais que 70% des morceaux ont été composés sur un piano. Je suis autodidacte, je n’ai jamais eu de vraie éducation musicale. On avait un piano à la maison et ma maman en jouait souvent. Elle aussi, était autodidacte. En y repensant, on joue tous les deux de la même manière. Je l’ai écouté jouer de nombreuses fois de manière peu conventionnelle quand j’étais petit. Et quand je joue, j’entends sa manière de frapper les notes. C’est assez marrant.
Quel genre de musique as-tu écouté en grandissant ?
Jack : J’ai grandi dans une famille catholique. Mes parents jouaient à l’église. J’ai écouté beaucoup de rock chrétien “gentillet” quand j’étais petit. Et je suis sûr que toute ma famille serait d’accord de dire aujourd’hui que cette musique était horrible (rires). Je pensais à notre premier EP l’autre jour et je me suis rendu compte qu’il y a certains parallèles entre ma musique et celle que j’écoutais à l’église en étant plus jeune. Il y a d’ailleurs pas mal de références religieuses dans les paroles même si je ne suis plus croyant aujourd’hui.
En grandissant, j’ai pas mal écouté de trucs avec mon père. C’était étrange. Je découvrais des groupes comme Joy Division et je lui demandais s’il connaissait et il me répondait “Bien sûr, que je connais Joy Division”. Et puis je découvrais des trucs de plus en plus niches et il les connaissait également. Je me suis rendu compte que mon père avait écouté toute cette musique qui me faisait vibrer en étant ado. C’est lui qui m’a fait écouter The Fall ou The Lounge Lizard. Il ne m’en avait jamais parlé quand j’étais plus jeune ! Il avait essayé de me faire écouter Tom Waits mais je faisais tout pour qu’il coupe la radio parce que je détestais sa voix. C’est assez drôle parce que c’est un de mes artistes préférés aujourd’hui.
Comment travaillez-vous avec le groupe ? Écrivez-vous chacun de votre côté ou est-ce un effort collectif ?
Jack : C’est devenu plus collaboratif. Même si Bingo Fury est présenté comme étant mon projet, c’est un groupe avec une formation constante. Tous les musiciens sont investis dans le projet et apportent leur propre touche. Je suis vraiment ouvert à l’idée d’avoir tort (rires). C’est arrivé plusieurs fois que quelqu’un change complètement la direction d’un de mes morceaux.
“Happy Snake”, par exemple, est une chanson assez ancienne. Je suis arrivé en répète avec une progression d’accords très sombre et j’ai demandé à Meg d’écrire une ligne de basse pour cette chanson. Elle l’a mal entendue et a commencé à jouer. Cette ligne de basse est l’une des meilleures choses qui soit arrivée dans une chanson de Bingo Fury. Et Meg l’a écrite par accident en emportant la chanson dans une direction totalement différente.
Il y a des morceaux que tu as composés seul au piano. Qu’est-ce qui te vient généralement en premier, les paroles ou la musique ?
Jack : A mon sens, les deux sont indissociables. Je réfléchis beaucoup à la relation que les mots entretiennent avec la musique qui les entoure. De bonnes paroles, c’est avant tout une question timing. Une seule phrase peut avoir un impact bien plus important en fonction du moment de la chanson où elle intervient. C’est ça qui lui donne tout son sens ou qui peut l’appauvrir…
Est-ce que tu te considères plutôt comme un compositeur ou un performeur sur scène ?
Jack : Je ne sais pas. Avant, j’aurais plutôt répondu que je suis avant tout un songwriter. Ce que j’aime c’est composer. Jouer en face d’un public, ça n’a jamais été naturel pour moi. Je ne suis pas forcément né pour être sur scène. Mais je commence à apprécier l’interaction qu’il existe avec le public en live, presque autant que j’apprécie écrire des morceaux, ce qui n’était pas le cas avant.
Est-ce que tu penses que ces expériences live vont influencer votre musique dans le futur ?
Jack : Bingo Fury continuera d’évoluer. Je m’ennuie aussi assez vite. Je suis arrivé à un point où j’étais assez bon à la guitare pour comprendre plus ou moins ce que je faisais (rires). Alors, j’ai commencé à écrire au piano développer des choses nouvelles. Et maintenant, je suis assez bon pour comprendre ce que je fais quand j’écris des chansons.
J’ai envie de passer à autre chose, de me lancer dans des compositions plus orchestrales ou des trucs où je me sens complètement à côté de la plaque et où je n’ai aucune idée de ce que je fais (rires). J’ai commencé à travailler sur des arrangements pour notre premier album. J’ai une idée générale de ce que ça va donner, ce sera sans doute plus orchestral et expérimental. C’est excitant de sortir de sa zone de confort.
Avez-vous des projets de tournée pour l’année prochaine ? Une date à Bruxelles peut-être ?
Jack : J’espère vraiment que l’on pourra tourner un peu l’année prochaine. J’adore Bruxelles. J’y étais en mars dernier avec un autre groupe au WaysAround Festival. Je faisais le son pour Lice, qui sont de bons potes à moi. Pendant le concert, le chanteur du groupe m’a fait monter sur scène pour jouer de la guitare. Il m’a présenté au micro en disant “Et maintenant mesdames et messieurs, le meilleur musicien de toute l’Angleterre Bingo Fury !”. Je suis monté sur scène et j’ai été désastreux (rires). Après le concert, quelqu’un est venu me trouver et m’a dit “Moi et mes copains, on ne pense pas que tu sois le meilleur musicien d’Angleterre” (rires). Et je ne pourrai pas lui donner tort !
“Mercy’s Cut” le premier EP de Bingo Fury est sorti le 7 octobre 2022.
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