Chroniques d‘architecture
Actualité de l‘architecture

L’édition 2022 du Pritzker, la plus haute distinction du monde de l’architecture, a auréolé l’architecte burkinabé installé à Berlin, Diébédo Francis Kéré pour son « engagement pour la justice sociale ». Une récompense qui met surtout en lumière une architecture globale, concrète, née du contexte.
Jusqu’à présent, les jurys du Pritzker n’avaient jamais récompensé un architecte d’un pays africain. L’architecte de 57 ans succède donc aux Français Jean-Philippe Vassal et Anne Lacaton, récompensés en 2021. Cette année, il est question d’un architecte qui « travaille dans des pays marginalisés, où les contraintes et les difficultés sont nombreuses et où l’architecture et les infrastructures sont absentes », relate le communiqué du prix.
Depuis quelques années, le Pritzker délaisse les architectes les plus connus pour ceux dont les travaux tiennent davantage compte des préoccupations sociales et environnementales actuelles, qu’il s’agisse en 2020 d’Yvonne Farrell et Shelley McNamara* ou, en 2021, d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal**.
Francis Kéré est né à Gando, un village sans école au cœur du Burkina-Faso, où il fut d’abord charpentier. C’est à 25 ans qu’il obtient son baccalauréat et à 39 ans son diplôme d’architecte à Berlin. La notoriété de Kéré, d’abord établie au Burkina Faso, au Bénin, au Mali, au Togo, au Kenya et au Mozambique avant de s’étendre à l’Allemagne, où il a installé son agence, parvient en France dès 2007***, plus tard encore aux USA. Partout, il construit des écoles, des maisons de santé, des logements pour les professionnels et les familles, des bâtiments publics et s’attache aux espaces publics.
Contextuel, humain et humaniste, le travail de Francis Kéré redonne du sens à l’architecture, en tant que nécessité publique. Là où les espaces sont adaptés au climat, aux matériaux locaux, aux usages et aux traditions, l’architecture est durable.  
Son œuvre cherche d’abord à « abriter et protéger » tous et chacun, quel que soit son statut social. Puis à « faire avec » ce qu’il y a. Diébédo Francis Kéré illustre simplement la frugalité architecturale et le bio climatisme contextuel tant rebattus chez nous ces dernières années sans vraiment avoir donné de réels résultats. « Tout le monde mérite la qualité, tout le monde mérite le luxe et tout le monde mérite le confort. Nous sommes liés les uns aux autres et les préoccupations en matière de climat, de démocratie et de pénurie nous concernent tous », explique-t-il.
Francis Kéré aime à se décrire comme un chef d’orchestre plus que comme un architecte. Dans les villages de Gando et de Laongo au Burkina-Faso, chaque construction émane de la terre et est construite avec les habitants. En effet, en tant que constructeur et en tant qu’homme du territoire, lui-même mieux que personne sait comment construire localement, avec les hommes et les femmes du village, avec leur accord aussi. Construire est en ce sens un acte communautaire dans lequel chacun est utile. Les enfants ont ramassé des pierres pour les fondations. Les femmes ont apporté de l’eau pour modeler les briques. Que savons-nous de la co-construction ?
L’architecte Burkinabé œuvre ainsi à la transmission de l’art de bâtir dans un pays où les écoles sont rares, les écoles d’architecture en particulier, mais dans une culture où chacun peut être amené à construire sa propre maison. D’ici 2030, deux milliards de personnes habiteront des bâtiments qu’elles auront construits elles-mêmes. Plus de 61 % de la population active mondiale participe déjà à cette économie parallèle.
L’école primaire de Gando, où Francis Kéré a mené d’autres projets, jette les bases de sa pratique : bâtir une source avec et pour une communauté afin de répondre à un besoin essentiel et corriger les inégalités sociales. Il y démontre aussi l’utilisation intelligente de matériaux locaux pour s’adapter et répondre au climat naturel, l’équipement conçu pour résister à la chaleur et fonctionner avec des ressources limitées, les logements des enseignants et les familles construits tout près.
La transmission est un acte éthique inhérent au travail de Francis Kéré. Dans le village-opéra de Laongo, murs massifs, blocs de latérite et toits géants cherchent à mêler art, éducation et écologie. Pensé avec le metteur en scène allemand Christoph Schligensief, le village d’une vingtaine d’hectares, dissimulé dans le paysage, a été construit sous forme de spirale dans les années 2010.
C’est aussi un lieu d’apprentissage constructif, bâti avec des matériaux trouvés sur place : des blocs de briques de terre compressée prise sur le site, des pavés faits à base de granit. L’architecte est parti du matériau le plus simple, que chacun sait utiliser. La terre qui rassemble la communauté autour d’un savoir-faire commun.
Son travail s’est aussi toujours porté sur l’importance cruciale de concevoir ce qu’il appelle des « villes cohérentes et paisibles ». En 2014, pendant la Révolution, un incendie a ravagé l’Assemblée nationale du Burkina-Faso à Ouagadougou. Sa proposition, aujourd’hui avortée, visait à faire du nouveau complexe le symbole de la transparence et de l’inclusion que les protestataires exigeaient du nouveau gouvernement en imaginant une pyramide à degrés, dont la façade accueille un espace public accessible à tous, 24 heures sur 24.
Au-delà du parcours personnel de l’homme de l’art, il est intéressant de noter que son œuvre, qui modernise sans rejeter, apporte aussi une réponse à la mondialisation de l’architecture, de la façon de la faire et de ses formes. Elle permet de dépasser les approches occidentales dominantes en architecture et d’y apporter une culture empirique plus adaptée aussi aux problématiques actuelles. Les utilisations innovantes des ressources locales et les méthodes de conception participatives permettent de travailler au-delà des limites les plus établies des pratiques de conception et de se débarrasser des normes dominantes pour créer leurs propres standards.
Cette dynamique contribue non seulement à l’autonomisation des communautés locales mais favoriserait aussi une plus grande durabilité. Peu après l’annonce du prix, l’architecte expliquait à CNN le 15 mars 2022 que « compte tenu de son mode de communication, l’Occident se présente parfois comme ce qui se fait de mieux. Le reste du monde le perçoit alors comme tel, oubliant que les ressources locales pourraient résoudre la crise climatique et représenter une alternative sérieuse en matière de développement socio-économique ».
Alors que les inégalités sociales, environnementales et économiques se creusent à l’échelle mondiale, il est bon de voir célébrer un architecte africain pour mettre en avant le savoir-faire d’un continent si peu représenté dans les écoles d’architecture. D’ailleurs, il n’y a pas d’école d’architecture réputée comme telle au Burkina-Faso. Il y a bien deux filières urbaines et architecturales, l’école d’architecture et de génie civile de Ouagadougou et l’université Aube-Nouvelle (U-AUBEN) de Bobo-Dioulasso, mais elles sont récentes et pas encore reconnues. Ce qui reste révélateur qu’en Afrique, le rapport à la construction et au bâti est aussi très différent de celui entretenu en occident.
Ces derniers mois signent aussi la consécration du travail des architectes et urbanistes africains. Les  honneurs de la médaille d’or du RIBA ont en effet été décernés à l’architecte tanzanien David Adjaye et l’architecte ghanéenne Lesley Lokko s’est vu nommer au poste de commissaire de la prochaine Biennale de Venise en 2023.
Pour ceux qui l’avaient oublié, l’Afrique est depuis longtemps entrée dans l’histoire.
Alice Delaleu
* Lire notre article Pritzker 2020 : #MeFour pour Yvonne Farrell et Shelley McNamara
** Lire notre article Pritzker 2021, plastique bien française ?
*** Lire notre article Un Global Award de combat ?

Par Rubrique(s) : Architectes, Portraits
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