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Dans Mignonnes, Maïmouna Doucouré dénonce l’hypersexualisation des préadolescentes. Le long-métrage, disponible depuis le 9 septembre sur Netflix, est également à l’origine d’une polémique de grande ampleur aux États-Unis. Décryptage.
“C’est l’histoire d’une petite fille qui grandit trop vite.” Dans Mignonnes, sorti le 19 août, Maïmouna Doucouré filme les déboires d’Amy – le diminutif d’Aminata -, 11 ans. Tiraillée entre enfance et adolescence, traditions et transgressions, l’héroïne intègre un groupe de jeunes danseuses. À travers l’initiation de la fillette au twerk, le long-métrage aborde un thème central : celui de l’hypersexualisation des préadolescentes.
Tout commence lors d’une fête de quartier. “J’ai vu des jeunes filles de 11 ans qui dansaient de façon très lascive sur la scène, confie Maïmouna Doucouré à Madame Figaro. J’étais interpellée, je me demandais si ces jeunes filles avaient vraiment conscience de ce qu’elles renvoyaient à travers les mouvements de leurs corps.” Débute alors un minutieux travail de recherches. En un peu plus d’un an, la réalisatrice rencontre “une centaine de jeunes filles issues de milieux différents”. Le constat est sans appel : “Tout ce que j’ai entendu m’a choquée, j’étais déroutée”, admet la cinéaste, confrontée notamment à l’histoire d’une préadolescente de 12 ans qui se prostituait. “J’ai éprouvé un sentiment d’urgence à les raconter et à leur donner la parole.”
J’ai éprouvé un sentiment d’urgence à raconter ces jeunes filles
Dans Mignonnes, prix de la réalisation au Festival du film de Sundance et distingué par une mention spéciale du jury de la Berlinale 2020, Amy et sa bande arborent des talons aiguilles, dansent en crop top et admirent les chanteuses dénudées dans les clips. “Les préadolescentes sont dans un mimétisme permanent, analyse la cinéaste. Elles voient que beaucoup de femmes donnent cette image, selon laquelle il faut se construire comme un objet sexuel, presque de désir, pour avoir du succès.” D’après Maïmouna Doucouré, les fillettes imiteraient ces comportements “sans forcément en comprendre tous les mécanismes”. “Je pense que l’on n’a pas assez éveillé l’esprit critique de nos enfants sur ces sujets, estime-t-elle. On est dans un tabou permanent.”
Le téléphone portable et les réseaux sociaux seraient, selon elle, responsables de la surexposition des fillettes “à tout ce qu’il existe de plus violent”. Pourtant, d’après Laurence Allard, maître de conférences et chercheuse en Sciences de la communication, “le phénomène de la “femme objet” ne date pas des réseaux sociaux”. “Cette hypersexualisation est très présente dans les clips, comme elle a pu l’être avec la pin-up des années 1940, les comics des années 1950 ou le cinéma, avec Brigitte Bardot”, explique-t-elle. “BB”, qui a commencé sa carrière à l’âge de 17 ans, n’est pas la seule “enfant star” à avoir pâti de ce phénomène.
Lors de la Women’s March, en janvier 2018, Natalie Portman évoquait son rôle d’adolescente dans Léon (1994), le long-métrage de Luc Besson. “J’étais très excitée à 13 ans, quand le film est sorti (…), relate-t-elle. J’ai ouvert ma première lettre de fan.” La missive n’est autre que le récit d'”un viol fantasmé”. Fin 2017, Mara Wilson, l’héroïne du film Matilda (1996), révèle dans une tribune qu’elle a été “photoshoppée sur des sites pédopornographiques” à l’âge de 15 ans. Deux décennies plus tard, les jeunes actrices sont toujours aussi exposées – en témoigne le cas de Millie Bobby Brown, désignée comme l’une des personnalités les plus sexy de la télévision par le magazine W en 2017, à l’âge de 13 ans. Depuis l’avènement des réseaux sociaux, les fillettes et adolescentes anonymes sont elles aussi exposées à ce phénomène.
À lire aussi” Sexualisation des adolescentes : la tribune au vitriol de Mara Wilson, l’actrice de “Matilda”
“Je ne dis pas que cela n’existait pas avant, affirme Maïmouna Doucouré. Je dis juste qu’aujourd’hui, l’exposition des corps est différente. On est dans une forme de surenchère, de course aux “likes” et aux “followers”.” Pour Laurence Allard, spécialisée dans les pratiques excessives digitales, ce comportement est directement lié à l’influence des marques. “On a transformé la nourriture, le sommeil, l’amitié en marchés, déclare la spécialiste. La vie quotidienne devenant une marchandise, le corps devient lui aussi une marchandise. C’est désormais une norme sociale de se montrer comme un objet soumis à marchandisation (…)”
L’hypersexualisation des fillettes et adolescentes ne se limite pas aux domaines du cinéma, de la musique ou des réseaux sociaux. En janvier 2018, Titiou Lecoq, une journaliste féministe, s’interrogeait dans les colonnes de Slate sur la sexualisation des héroïnes de dessins animés. Elle s’étonnait ainsi que la petite Sophie, personnage phare de l’univers d’Inspecteur Gadget, ait désormais… des seins. Âgée de 8 ans dans la version des années 1980, elle devient une adolescente de 15 ans dans la version moderne de la série. “Mais pourquoi diable l’héroïne d’un dessin animé pour enfants de 5/6 ans devrait-elle être sexy ?”, se demande Titiou Lecoq.
Avant de poursuivre, évoquant la romance de l’adolescente avec un certain Tristan : “Et Sophie n’a pas que des seins, 1m20 de jambes, une taille de guêpe et un petit c** rebondi, elle a aussi un béguin.” L’essayiste fustige également la minceur des “héroïnes des derniers Disney”, “qui physiquement font passer Blanche-Neige pour un petit pot à tabac”. Ou encore le relooking “à la Cristina Cordula” de Charlotte aux fraises. “Cela participe d’un mouvement de sexualisation des petites filles, qui leur est néfaste, s’indigne Titiou Lecoq. On leur vend des chaussures à talons pointure 25, des soutiens-gorges rembourrés en taille 65 A. On leur apprend qu’elles sont là pour plaire et pour séduire à travers leur apparence physique, et ce quel que soit leur âge.”
Les chercheuses québécoises Lucie Poirier et Joane Garon soulignaient dès 2009 que “l’hypersexualisation est fondamentalement sexiste (…) Elle peut avoir des conséquences importantes, notamment sur nos manières de penser et d’agir, sur notre sexualité et au niveau des relations hommes-femmes.” Leurs résultats de recherches, menées pour le Regroupement des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel et la violence faite aux femmes (CALACS), répertorient les risques de vulnérabilité en termes de santé mentale et physique pour les fillettes qui y sont exposées. “Cette survalorisation de l’apparence et de la séduction comme mode de rapport à l’autre comporte aussi des risques pour la santé physique des jeunes filles dont les troubles alimentaires, l’utilisation récurrente de régimes amaigrissants dès le plus jeune âge, la consommation de drogue et d’alcool (…).” Des conclusions reprises en France dans le rapport Jouanno de 2012 (1), qui alertait sur la responsabilité de la société face à ce phénomène, alors émergent.
Les réalisateurs et réalisatrices qui ont abordé le thème de l’adolescence se comptent par dizaines, chacun abordant cette période de la vie à sa façon. Maïmouna Doucouré s’y est, elle, intéressée de très près, au point de proposer dans Mignonnes une expérience immersive : “Ma démarche était d’être avec le personnage principal, dans sa respiration, dans sa vision du monde, dans son rythme cardiaque”, explique-t-elle.
La sortie du long-métrage n’en a pas moins été entachée par une polémique née aux États-Unis, le jeudi 20 août. L’origine du scandale ? L’affiche choisie par Netflix pour illustrer le film sur sa plateforme, qui a immédiatement été fustigée comme “inappropriée” par les internautes.
La plateforme de streaming a choisi un visuel dérangeant pour promouvoir le film de Maïmouna Doucouré, en affichant hors contexte une image du film sexualisant les très jeunes héroïnes. Alors même que le film dénonce l’hypersexualisation des filleshttps://t.co/Jcc92DBKQk
Les porte-parole de la plateforme de streaming ont depuis présenté leurs excuses dans les colonnes de Deadline, et retiré l’affiche de leur site. Mais, depuis que le film a été mis en ligne le 9 septembre, la polémique a pris de l’ampleur. Au point que certaines personnalités américaines, comme l’animatrice Laura Ingraham, invitent leurs followers à résilier leur abonnement à Netflix. Le sénateur républicain du Texas, Ted Cruz, a, quant à lui, demandé au département de la Justice d’enquêter sur la plateforme de streaming.
Le tout, afin de “déterminer si Netflix, ses responsables, ou les personnes impliquées dans la création ou la production du film Mignonnes violent les lois fédérales en ce qui concerne la production et la distribution de contenus pédopornographiques”. Le hashtag #CancelNetflix a de son côté été massivement partagé sur les réseaux sociaux. “En filmant mes personnages, je ne me suis pas demandé comment choquer le spectateur”, affirmait Maïmouna Doucouré quelques jours plus tôt. Selon la cinéaste, le grand message de son film est tout autre : “Une petite fille peut prendre le temps de grandir. Et de choisir la femme qu’elle a envie de devenir”.
(1) Contre l’hypersexualisation, un combat pour l’égalité, rapport parlementaire remis le 5 mars 2012 par la sénatrice de Paris Chantal Jouanno à la demande de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot.
*Cet article, initialement publié le 21 août 2020, a fait l’objet d’une mise à jour.
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Hypersexualisation des petites filles : “On est dans le tabou permanent”
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