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ENTRETIEN – Sans taire les défauts et les limites du modèle français d’enseignement supérieur et de recherche, la sociologue Christine Musselin estime que le classement de Shanghai, dont la dernière édition a été publiée le 15 août, repose sur des critères discutables.
Christine Musselin est sociologue, directrice de recherche CNRS au Centre de sociologie des organisations et directrice scientifique à Sciences Po. Son dernier ouvrage est Propositions d’une chercheuse pour l’Université (Presses de Sciences Po, 2019).
LE FIGARO. – Le 15 août a été publié le dernier classement de Shanghai. En quoi consiste ce classement ? Pourquoi lui accorde-t-on une telle importance aujourd’hui ?
Christine MUSSELIN. – C’est le premier classement international qui a été publié, en 2003, ce qui explique en partie qu’il soit devenu un point de référence. Contrairement aux autres qui se sont diffusés par la suite, ce classement a toujours pris en compte les mêmes indicateurs ; il est très stable dans le temps. Ça lui confère une grande comparabilité d’une année à l’autre, même si le classement en lui-même est très critiqué car les indicateurs utilisés sont très classiques, qu’ils donnent un grand poids à la recherche et peu à l’enseignement, et qu’ils correspondent à un modèle d’institution bien particulier. Beaucoup de critiques méthodologiques ont été faites à ce classement ; il n’est pas sans défaut mais sa stabilité le rend très robuste.
Comment expliquer que les universités françaises y soient globalement mal classées ?
D’abord, les universités françaises y sont moins mal classées maintenant qu’elles ne l’ont été au départ. Mais cela peut se comprendre dans la mesure où ce classement a été conçu à l’origine par un professeur chinois auquel le gouvernement [de Pékin] avait confié la tâche de voir quelle était la place des universités chinoises dans l’enseignement supérieur international. Il n’avait donc pas vocation à avoir la résonance qu’il a aujourd’hui. C’était un instrument utilisé par le gouvernement chinois pour suivre la progression des universités mondiales, surtout avec le modèle américain en tête: des universités dans lesquelles on intègre très fortement l’enseignement et la recherche, où il n’y a pas d’organisme de recherche inséré dans le fonctionnement des universités comme c’est le cas en France, et où les signatures des articles scientifiques n’ont qu’une seule référence.
L’universitaire chinois qui a établi le classement de Shanghai a pris des éléments qui lui étaient le plus accessibles, des éléments objectifs comme le nombre de prix Nobel, de médailles Fields. Ce sont par ailleurs des éléments qui existent beaucoup dans les sciences exactes mais beaucoup moins dans les sciences humaines et sociales. Il a pris aussi des mesures d’articles qui valorisent beaucoup les revues en langue anglaise. Les pays où il y avait beaucoup de publications dans les langues nationales étaient ainsi défavorisés. De fait, tous ces critères défavorisaient les universités françaises.
Je ne dis pas que les universités françaises étaient de même niveau que les universités américaines et qu’elles auraient dû absolument apparaître dans le classement final, mais la manière de calculer, nécessairement, a eu aussi des conséquences sur ce classement.
Je ne dis pas que les universités françaises étaient de même niveau que les universités américaines et qu’elles auraient dû absolument apparaître dans le classement final, mais la manière de calculer, nécessairement, a eu aussi des conséquences sur ce classement.
Quel est le sens de cette compétition mondiale entre les universités ? Existait-il des classements avant 2003 ?
Avant 2003, il n’y avait pas de classement international des universités, mais les universités américaines étaient déjà classées depuis de nombreuses années. Un classement des universités avait aussi été développé en Allemagne, par le Spiegel avec le think-tank CHE (Center for Higher Education). Ils avaient conçu un classement à la fin des années 1990 qui est, à mon sens, plus intéressant que le classement de Shanghai car il est multicritère, comme le classement international U-Multirank qui a créé depuis par l’Union européenne: vous pouviez à la fois savoir quelles étaient les universités les plus performantes en matière de recherche, mais aussi celles qui accueillaient le mieux les étudiants en licence, ou celles qui étaient les mieux équipées. Il y avait donc déjà des classements nationaux. La nouveauté avec Shanghai, c’est qu’il s’agit d’un classement international. On retrouve alors le problème de systèmes universitaires nationaux difficilement comparables, et le système universitaire français était particulièrement peu valorisé par le classement de Shanghai.
Quels ont été les effets de ces classements ?
Je pense qu’on surestime beaucoup les effets de ces classements. Les classements n’ont pas d’effets en eux-mêmes, mais parce qu’ils sont utilisés par les gouvernements, par les établissements, par les personnes qui font les classements eux-mêmes, pour essayer de peser sur les transformations et les réformes. Le classement de Shanghai n’a pas changé fondamentalement les critiques qui étaient adressées au système universitaire et scientifique français. Mais il va être utilisé pour les légitimer et justifier les réformes.
On voit clairement qu’en France, deux ans après l’introduction du classement de Shanghai, on va utiliser le mot «performance» pour le monde universitaire, ce qui ne se faisait pas auparavant ; on va développer des outils de mise en compétition des établissements universitaires et des instruments publics pour accentuer cette compétition.
Je dis parfois – sous forme de boutade bien sûr – qu’on devrait fusionner toutes les universités françaises et revenir à l’université napoléonienne : on serait certainement parmi les premiers mondiaux en termes de production scientifique.
Pour «performer» dans ces classements, de nombreux groupements universitaires ont vu le jour: PSL, Paris-Saclay… Quel est le sens de ces projets ?
Il est réducteur de dire que le seul but de ces regroupements est d’être mieux classé. Il est vrai qu’en agrégeant, mathématiquement, on est mieux classé. Et je dis parfois – sous forme de boutade bien sûr – qu’on devrait fusionner toutes les universités françaises et revenir à l’université napoléonienne parce que là on serait certainement parmi les premiers mondiaux en termes de production scientifique. Cela peut justifier en partie les regroupements mais ça ne suffit pas.
Ce type de démarche était aussi motivé par le fait que les universités françaises avaient une logique disciplinaire trop forte. À partir du moment où de tels regroupements ont été faits, toute la démarche du ministère a été de les faire reconnaître comme de nouvelles institutions pour qu’elles puissent être classées dans les classements internationaux.
C’est la mise en œuvre de la loi de 1968 qui a amené à l’éclatement de la Sorbonne et conduit les universitaires à se regrouper selon des logiques soit disciplinaires, soit politiques. À Paris, l’éclatement des historiens entre Paris I et Paris IV répondait principalement à des logiques politiques, de conceptions différentes de l’histoire.
Comment expliquer ce mouvement inverse à celui qu’avait connu l’université française, et en particulier parisienne, en 1970 ? Ne valorise-t-on plus que la «taille critique» et l’interdisciplinarité ?
Le raisonnement sur l’interdisciplinarité me fait sourire car beaucoup d’universités dans le monde sont effectivement pluridisciplinaires mais ont beaucoup de mal à faire travailler ensemble les différentes entités universitaires en leur sein et affichent curieusement toutes des objectifs d’interdisciplinarité !
Il y a eu effectivement une inversion par rapport aux années 1970, mais si on regarde l’éclatement de la Sorbonne, il faut voir que ce n’était pas du tout ce que voulait le pouvoir politique de l’époque. Si on relit la loi de 1968, qui a été à l’origine de la recréation d’universités telles que nous les connaissons aujourd’hui en France, la volonté d’Edgar Faure, c’était de créer au contraire des universités pluridisciplinaires. C’est la mise en œuvre de la loi qui a amené cet éclatement et conduit les universitaires à se regrouper selon des logiques soit disciplinaires, soit politiques. À Paris, l’éclatement des historiens entre Paris I et Paris IV répondait principalement à des logiques politiques, de conceptions différentes de l’histoire. C’est plutôt quelque chose que le niveau gouvernemental a subi.
Maintenant, en effet, la question de la taille critique est souvent invoquée, sans que personne ne la définisse véritablement. Mais l’idée est la suivante : si on est gros, on est visible, ce qui correspond à mon sens à une erreur dans l’interprétation de la taille critique. Si vous regardez les universités bien classées dans le monde, elles ne sont pas nécessairement les plus grosses en termes d’étudiants. Or on a recréé en France des universités de très grosse taille comparées aux universités qui sont les mieux classées au niveau mondial. Il faudrait plutôt regarder le nombre d’enseignants-chercheurs, ou le ratio enseignants-chercheurs par étudiant ; là on est souvent très en retard sur beaucoup de pays, y compris dans les universités françaises récemment fusionnées.
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«Le classement de Shanghai mesure-t-il correctement le niveau des universités françaises ?»
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