© Smaaart – Marlène Taurines et Jean-Christophe Estoudre devant leur ligne de reconditionnement d'ordinateurs.
Smaaart, spécialiste du smartphone reconditionné, fait le pari d’actionner un nouveau levier de croissance en ouvrant ses lignes aux ordinateurs. L’objectif est de transposer son savoir-faire sur un nouveau type de produit et répondre à un double défi social : pouvoir d’achat et écologie.
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“Il faut que nous arrivions à faire savoir aux gens que tous les achats de matériel reconditionné ne se valent pas. Que la filière courte, au niveau national, existe et que l’on peut faire travailler une usine française qui a une certaine éthique en réduisant drastiquement l’impact du transport sur un produit de seconde main.” Tel est le vœu de Jean-Christophe Estoudre, cofondateur et président de Smaaart, qui nous a reçu dans les ateliers du reconditionneur installé au pied du Pic Saint-Loup, à une demi-heure de Montpellier.
Spécialiste de la maintenance électronique des terminaux télécoms depuis 1986, l’entreprise a vu évoluer le marché des téléphones à cadran aux box opérateurs en passant par le Minitel, avant la démocratisation des smartphones. Rentable, elle subit en 2012 la liquidation judiciaire du groupe auquel elle appartenait. Une injustice sur un territoire industriel peu développé, qui pousse une poignée de cadres dirigeants à racheter l’usine avec leurs indemnités de licenciement afin de continuer l’activité de réparation et maintenance, mais aussi à réembaucher leurs anciens collègues.
Forte de son expérience, c’est en 2017 que l’entreprise se lance le défi de donner une seconde vie aux smartphones en créant Smaaart, non sans succès. Aujourd’hui, l’entreprise veut aller plus loin en élargissant son activité au reconditionnement des ordinateurs.
“Évidemment, dans Smaaart, il y a l’idée de smartphone, mais pas seulement. On s’est toujours dit qu’acheter un appareil remis en état, garanti, moins cher, mais toujours aussi performant qu’un appareil neuf, c’est surtout une démarche intelligente, donc smart en anglais”, nous explique le patron de ce site de 3300 m², qui emploie déjà 115 personnes et prévoit 30 embauches pour développer sa filière PC, “et sans doute encore plus l’année prochaine”.
Il faut dire que les perspectives de développement de la filière du smartphone reconditionné restent élevées (le marché enregistre 18 % de croissance en volume) et que peu de concurrents sont capables d’enfiler une seconde casquette de reconditionneur d’ordinateurs en France.
“Tout nous pousse à croire que nous sommes sur la bonne voie et nos résultats le prouvent. Nous sommes à l’heure d’un double défi. D’une part, il faut des réponses à la crise du pouvoir d’achat, et le prix reste le critère n°1 des produits reconditionnés par rapport au neuf. D’autre part, les consommateurs ont pris conscience des méfaits écologiques de la surconsommation de produits neufs, qui plus est électroniques. Nous sommes là en réponse à ces deux problématiques, et nous le faisons en France avec une approche sociale et éthique”, nous confie Jacqueline Pistoulet, directrice marketing de la marque.

Après les smartphones, Smaaart ouvre des lignes de reconditionnement d’ordinateurs dans son usine de Saint-Mathieu-de-Tréviers.

© Les Numériques

Après les smartphones, Smaaart ouvre des lignes de reconditionnement d’ordinateurs dans son usine de Saint-Mathieu-de-Tréviers.
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En visitant l’usine et ses lignes de reconditionnement d’ordinateurs, et en échangeant avec les personnels responsables de cette nouvelle activité, on comprend qu’elles ont été ouvertes avec une contrainte de temps et qu’il a fallu aller assez vite. En effet, Smaaart a saisi une opportunité en signant avec Econocom, un groupe informatique européen qui “pèse” 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021 et lui permet de se fournir en matériels informatiques à reconditionner.
Le contraste est saisissant entre le processus de reconditionnement de smartphones extrêmement abouti, fruit de plusieurs années d’optimisation et de développement, et celui des ordinateurs où beaucoup reste à inventer.
Michel Maggi, responsable méthode et infrastructure, confirme : “Aujourd’hui encore, on continue à améliorer au quotidien ces nouveaux postes de travail en écoutant les retours des ouvriers, nous confie-t-il. Nous aurons certainement beaucoup d’autres ajouts et ajustements à faire pour augmenter le volume de traitement […] Par rapport aux smartphones, là où nous avons de vrais sujets, c’est sur la logistique et la manipulation. Cela prend beaucoup plus de place et c’est plus lourd.”
Côté logiciel, l’entreprise a choisi d’utiliser des solutions existantes adaptées pour reconditionner les PC, plutôt que de développer son soft maison sur-mesure, comme c’est le cas sur la partie smartphones. Et côté matériel, il faut multiplier les documentations techniques et parfaire les procédures, ce qui n’est pas chose aisée quand on connaît la diversité de modèles d’ordinateurs portables, de bureau et tout-en-un.

L’opérateur teste le bon fonctionnement des ports USB d’un iMac. La plupart des vérifications s’effectuent avec un logiciel spécialisé, mais certaines manipulations restent manuelles, comme tester Siri ou vérifier l’homogénéité de l’écran.

© Les Numériques

L’opérateur teste le bon fonctionnement des ports USB d’un iMac. La plupart des vérifications s’effectuent avec un logiciel spécialisé, mais certaines manipulations restent manuelles, comme tester Siri ou vérifier l’homogénéité de l’écran.
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Le jour de notre visite, ce sont des iMac qui sont alignés par dizaines sur les lignes. Certains dont les fonctions sont testées une à une par un opérateur, d’autres qui sont à l’étape d’effacement des disques durs et de réinstallation d’un système à jour.
II y a finalement moins de fonctionnalités à tester sur un PC que sur un smartphone.
“Qui peut le plus peut le moins. Notre expérience technique et notre adaptabilité nous permettent d’aborder les ordinateurs sans anxiété particulière. C’est un appareil plus gros, mais il y a finalement moins de fonctionnalités à tester sur un PC que sur un smartphone. Notre enjeu, c’est d’optimiser le processus en termes de temps de manipulation et de travail pour augmenter peu à peu le volume”, constate Marlène Taurines, directrice générale du site.
Actuellement, une personne peut piloter deux ordinateurs en même temps et Smaaart a encore de la marge pour accélérer les choses, notamment en automatisant davantage d’étapes. Il faut bien comprendre que chez un reconditionneur, un produit qui dort est un produit dont la cote tarifaire baisse.
“Notre objectif, c’est que chaque produit reste le moins de temps chez nous, et qu’une fois remis en état, il trouve rapidement un nouvel acquéreur. Avec le reconditionné, on crée beaucoup plus de satisfaction d’un bout à l’autre de la chaîne. Notre partenaire Econocom ne voulait plus voir autant de matériels finir à la benne. Nous nous assurons d’avoir une traçabilité des ordinateurs. Nous pouvons les reconditionner, les garantir, nous assurer que le matériel en réelle fin de vie soit correctement recyclé, selon les normes en vigueur. Et proposer nos produits sur tous les canaux de distribution”, résume Jean-Christophe Estoudre.
Comme pour les smartphones, Smaaart a en effet décidé de mettre en vente ses ordinateurs reconditionnés à la fois pour les particuliers, en direct sur son site ou via un réseau de distributeurs (grandes surfaces alimentaires et spécialisées notamment), sans oublier les professionnels, sur de petites ou grandes séries, afin de renouveler des parcs de machines.
“Les mentalités évoluent dans le bon sens en entreprise. Si certains salariés n’auraient pas compris que leur employeur les dote d’un appareil reconditionné il y a encore peu de temps, c’est désormais une demande de certains clients, dont les collaborateurs sont favorables à des politiques plus vertueuses pour l’environnement. C’est sans doute encore plus vrai pour les PC, où il y a moins d’effet de mode que sur le smartphone, et où finalement les spécificités techniques priment”, analyse la directrice générale.

À n’en pas douter, les chaînes de reconditionnement PC vont devoir monter en régime au vu des stocks de machines déjà entassées dans les linéaires de Smaaart.

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À n’en pas douter, les chaînes de reconditionnement PC vont devoir monter en régime au vu des stocks de machines déjà entassées dans les linéaires de Smaaart.
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Une chose est sûre, Smaaart est ambitieux. Son patron nous confie vouloir reconditionner et vendre 100 à 120 000 ordinateurs en 2023, construisant ainsi un vrai catalogue. Pour collecter suffisamment de machines, l’entreprise compte sur son partenariat et profite d’un secteur moins en tension que le smartphone “où il y a de plus en plus de concurrence pour récupérer suffisamment de téléphones en France, chez les opérateurs notamment avec un système d’enchères”.
La société va également faire face à un défi de recrutement et de formation. Raison pour laquelle a été créée la Smaaart Academy, qui dispense 400 h de formation pratique et théorique avant d’insérer les recrues sur les différents postes spécialisés des lignes de reconditionnement. Les candidats sont recrutés sans CV, sur motivation et aptitude au poste.
Autre problématique : l’approvisionnement en pièces détachées. Dans son dernier baromètre du SAV, le groupe Fnac-Darty indiquait une durée de vie moyenne de 7/8 ans pour un ordinateur portable, mais une mise à disposition des pièces pendant seulement trois ans par les fabricants. “Pour l’instant, ce n’est pas un problème majeur pour nous, dans la mesure où nous récupérons des séries de pièces identiques. Il nous est ainsi possible de nous fournir en composants sur d’autres machines du stock au besoin, pour changer un écran ou réparer un clavier, par exemple […] Notre partenaire Econocom entretient aussi des relations privilégiées avec les fabricants, et cela pourra peut-être nous aider si le problème se pose”, explique Marlène Taurines.
Il faut […] faire reconnaître notre savoir-faire dans la jungle du reconditionné […] Un marché internationalisé où les clients ne se rendent la plupart du temps pas compte à qui ils achètent et d’où viennent les produits
Et puis, comme sur le smartphone, Smaaart va tenter d’imposer l’idée d’éthique en plus de la seule circularité. “Il y a déjà, quelque part, une vieille économie circulaire qui tend au recyclage. Notre vision, c’est d’innover sur l’audit des appareils pour limiter au maximum le gaspillage et augmenter la part de réutilisation, et améliorer la compétence métier pour optimiser la réparabilité. On travaille par exemple sur un poste qui permet la réparation de cartes mères. À chaque amélioration, ce sont moins d’objets qui finissent à la benne. Il faut aussi inciter davantage les gens et les entreprises à nous confier au plus vite leurs terminaux quand ils cessent de s’en servir, et faire reconnaître notre savoir-faire dans la jungle du reconditionné qui est un marché très largement internationalisé, où les clients ne se rendent la plupart du temps pas compte à qui ils achètent et d’où viennent leurs produits lorsqu’ils passent par une place de marché type BackMarket, Amazon, Cdiscount, etc.”, explique Jean-Christophe Estoudre.
C’est la raison pour laquelle le SIRRMIET (Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms), auquel adhère Smaaart, a travaillé pendant deux ans avec SGS pour certifier un processus de reconditionnement vertueux : le label Qualicert SGS Reconditionné, reconnu par le Comité Français d’Accréditation. “Un label gage de sérieux, à faire connaître”, que la marque est fière d’apposer sur ses boîtes et dont pourra bénéficier la filière PC.
“Nous sommes obligés de nous battre pour faire passer ce message d’un reconditionnement plus éthique, français, sérieux et contrôlé, sur un marché où l’on subit la concurrence d’acteurs internationaux, avec des entreprises étrangères qui, pour certaines, fraudent sur la TVA, dans un contexte de compétitivité difficile où, en plus, nous devons désormais supporter la redevance copie privée sur les produits reconditionnés”, concède Jacqueline Pistoulet. Et de conclure : “Oui, nous sommes un peu plus chers, mais nous faisons les choses bien.”
Stupeur chez les reconditionneurs français. Le Sénat a adopté le projet de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique…

© Getty Images

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Une récente étude de l’Ademe (Agence de transition écologique) chiffre l’intérêt écologique des produits reconditionnés. Des produits dont les bienfaits directs sont de réduire les besoins d’extraction de matières premières en limitant les émissions de gaz à effets de serre et autres pollutions. Des gains d’autant plus forts que la durée de vie du produit est allongée, dans le cadre d’un reconditionnement local en limitant le nombre de pièces changées (si possible elles-mêmes recyclées). De bonnes pratiques pour ne pas faire du reconditionné “une caution à la surconsommation”.
Selon les cas de figure, acheter un ordinateur reconditionné permet de réduire son impact global de 36 à 99 %, avec une moyenne de 127 kg de matières premières et 27 kg d’équivalent CO2 épargnés pour un ordinateur portable par année de fonctionnement, et 259 kg de matières et 42 kg de CO2e pour un ordinateur fixe. Des gains variables, on l’aura compris, en fonction du nombre de pièces changées, de la durée d’utilisation totale du produit et de la localisation de l’approvisionnement et du reconditionnement. L’Ademe est à ce titre catégorique, il est nécessaire de privilégier un reconditionnement en circuit court.
Moitié machine à écrire, moitié machine à café, Mathieu a le ctrl soyeux et la maj facile. A peu près sportif, adepte de l'humour approximatif et végétarien par intermittence, il aime (presque) aller au bout des choses
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