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FIGAROVOX/ENTRETIEN – Pour la journaliste scientifique Laura Spinney, les mesures d’urgence adoptées pour enrayer la propagation de la grippe espagnole en 1919 ressemblent beaucoup à celles décidées face au coronavirus. Nos systèmes de santé sont largement les produits de cette pandémie historique.
Laura Spinney est journaliste scientifique. Elle a publié La Grande Tueuse, comment la grippe espagnole a changé le monde, aux éditions Albin Michel.
FIGAROVOX.- Le président de la République a dit que cette crise du coronavirus était la plus grave crise sanitaire en France depuis un siècle, faisant référence à la grippe espagnole de 1919. La comparaison vous parait-elle justifiée?
Laura SPINNEY.- Il est difficile pour le moment de comparer une épidémie en cours à une épidémie révolue, d’autant que les statistiques de la grippe espagnole sont très contestées, car il était difficile à l’époque de comptabiliser. Lors de l’épidémie de 1918, il y a eu 50 à 100 millions de morts. On estime le taux de létalité de cas (Case Fatality Rate CFR) à 2,5 %. On estime qu’elle était 25 fois plus dangereuse qu’une grippe typique. On ne sait pas encore quel est le CFR pour la pandémie actuelle, probablement autour de 1 %.Ce qui est comparable, c’est qu’il s’agit d’un nouveau pathogène au taux d’attaque très élevé. La grippe espagnole avait la particularité de toucher très sévèrement les personnes dans la fleur de l’âge entre 20 et 40 ans, ce qui l’a rendue si désastreuse. Le coronavirus semble toucher fatalement plutôt les personnes âgées de plus de 60 ans, mais là aussi ça évolue très vite et on manque de recul.
Beaucoup accusent la mondialisation d’être responsable de la diffusion si rapide du virus dans un monde sans frontières. À l’époque de la grippe espagnole, comment et en combien de temps le virus s’est-il répandu?
Entre mars 1918 et juillet 1921, la grippe espagnole s’est déployée en trois vagues: une première, modérée, qui ressemblait à une grippe saisonnière, une deuxième très virulente où ont eu lieu la plupart des décès, de mi-septembre à mi décembre 1918, et une troisième vague moins virulente. La plupart des morts ont eu lieu en trois mois. À l’époque il existait déjà une forme de mondialisation, même si elle était beaucoup plus lente. La guerre a été un des facteurs déterminants de la gravité de la pandémie. En effet il y avait beaucoup de déplacements: les militaires qui rentraient chez eux, mais aussi les déplacés, les réfugiés qui étaient nombreux. Les scènes de liesse de l’Armistice et de la démobilisation ont accéléré la diffusion du virus. Les systèmes immunitaires étaient fragilisés par les privations. Certains scientifiques estiment que les conditions de la guerre ont puissamment contribué à la virulence du virus. Normalement, une nouvelle souche de grippe modère sa virulence avec le temps, car le virus n’a pas intérêt à tuer l’hôte qui l’héberge. Ainsi, les grippes saisonnières que nous connaissons ont commencé par des grippes pandémiques qui se sont «calmées». Mais la grippe espagnole a rencontré des circonstances exceptionnelles: dans les tranchées du Nord de la France, des hommes coincés dans des tranchées, affaiblis, aux poumons parfois compromis par les gaz. Tout cela a contribué à ce que le virus garde une exceptionnelle virulence pendant longtemps.
Comment ont réagi les gouvernements à l’époque? Ont-ils été efficaces?
D’abord, les pays belligérants ont essayé de cacher l’épidémie pour ne pas nuire au moral des populations. C’est d’ailleurs pour cela qu’on l’a appelée «grippe espagnole», alors qu’on ne sait pas d’où elle est venue: l’Espagne étant neutre pendant le conflit, il n’y avait pas de censure, et la presse espagnole en a parlé la première. Puis les gouvernements ont été obligés d’agir. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont alors mis en place exactement les mêmes mesures qu’aujourd’hui pour le coronavirus: des mesures de distanciation sociale, les seules efficaces en dépit du vaccin. Quarantaine, isolation, masques, lavage de main: c’était exactement les mêmes recommandations il y a 100 ans! Avec les mêmes débats. Par exemple, dans un grand journal parisien, on interrogeait un expert de l’institut Pasteur sur l’utilité de désinfecter les espaces publics parisiens, et il répondait que cela était inefficace! Nous avons les mêmes réactions que nos aïeux face à une pathologie inconnue.
Y a-t-il eu des cas de panique?
Oui, partout il y avait de la peur, comme aujourd’hui. Mais à New-York City, par exemple, où la population était déjà habituée aux interventions sanitaires des autorités pour le bien collectif, la population a plutôt bien obéi aux consignes. À Rio de Janeiro, il y a eu une panique généralisée car le gouvernement était mal préparé. Dans les pays belligérants, la population, épuisée et résignée après quatre ans de guerre, relativisait le fléau, ou au contraire y voyait la confirmation mystique d’une apocalypse, d’une punition divine. Il y avait beaucoup de théories du complot: on pensait que la grippe était due aux miasmes s’élevant des champs de bataille des Flandres, ou aux États-Unis, que c’était les sous-marins allemands qui l’avaient déposés sur les plages américaines. Les «fake news» ne datent pas d’aujourd’hui!
Quelles conséquences sociales a eu la grippe espagnole?
Les conséquences économiques de la grippe espagnole sont incalculables, d’autant qu’elles se mêlent étroitement à celles de la guerre. Elle a probablement ralenti le progrès des sociétés touchées pendant plusieurs années, sinon des décennies. L’épidémie a eu parfois des conséquences inattendues. Nous avons une mémoire très occidentale de cette grippe, mais c’est dans les pays du Tiers Monde qu’elle a le plus tué: 18 millions rien qu’en Inde où elle a très certainement préparé les esprits à l’indépendance. La grippe a eu également ce qu’on appelle un «effet moisson»: en éliminant les individus les plus faibles, elle a laissé une population plus réduite mais plus saine. Les survivants avaient un système immunitaire plus solide. La capacité biologique de reproduction humaine s’était améliorée et plus d’enfants venaient au monde» l’espérance de vie, notamment masculine, s’est allongé.
À l’époque, la grippe espagnole a permis de prodigieuses avancées de la science. Peut on espérer la même chose aujourd’hui?
En effet, nos systèmes de santé actuels sont largement les produits de la pandémie de 1918: c’est à ce moment qu’on s’est rendu compte de la nécessité d’une médecine socialisée, pour répondre à des épidémies qui ne peuvent être traités de façon individuelle. Cela a profondément stimulé la virologie et l’épidémiologie qui étaient alors des sciences embryonnaires, et contribué à la fondation des premières agences globales de santé, mais aussi à des outils de surveillance. La pandémie actuelle de coronavirus nous montre que nos systèmes de santé sont probablement sous financés pour le vieillissement actuel de la population. Elle nous amènera forcément à les faire évoluer.
Faut-il se résigner à l’apparition régulière de pandémies?
Il y a des pandémies régulièrement. Trois pour le XXe siècle: la grippe espagnole (50-100 millions), la grippe asiatique en 1957 (2 millions de morts), la grippe de Hong-kong en 1968 (4 millions de morts). Effectivement très souvent des nouvelles souches de grippe apparaissent, mais on peut en principe prévenir le passage de l’animal à l’homme, par exemple en régulant les marchés d’animaux vivants (wet markets) , là d’où est très probablement parti le coronavirus. On a fermé ces marchés d’animaux vivants après la crise du Sras en 2002 mais ça n’a pas fonctionné et crée des marchés noirs, car trop de personnes en dépendaient. Mais ces marchés ne sont qu’une partie infime du problème: il va falloir repenser tout notre système d’aliementation, car c’est notamment là le berceau de ces nouvelles infections de plus en plus fréquentes.
À voir aussi – Coronavirus: comment créer un vaccin rapidement
Paul Meirion
le
“il va falloir repenser tout notre système d’alimentation”
Il va surtout falloir repenser à la neutralité de l’article.
Philippe Frossard
le
Je ne comprends pas très bien. Elle dit que la grippe espagnole a frappé les jeunes en particulier de 20ans à 40ans.
Plus loin elle mentionne que cette grippe a eu un effet moisson en éliminant les éléments les plus faibles ? Très contradictoire….
Les éléments les plus faibles sont les 20 à 40 ans?
La grippe espagnole trompait le système immunitaire en le faisant attaquer des cellules saines, raison pour laquelle les personnes ayant un système immunitaire fort sont mortes et les plus faibles survécurent…
Très loin de l’effet moisson… Cet article est loin d’être correct. Merci de faire plus de recherche avant de publier.
Philippe Frossard
le
Je ne comprends pas très bien. Elle dit que la grippe espagnole a frappé les jeunes en particulier de 20ans à 40ans.
Plus loin elle mentionne que cette grippe a eu un effet moisson en éliminant les éléments les plus faibles ? Très contradictoire….
Les éléments les plus faibles sont les 20 à 40 ans?
La grippe espagnole trompait le système immunitaire en le faisant attaquer des cellules saines, raison pour laquelle les personnes ayant un système immunitaire fort sont mortes et les plus faibles survécurent…
Très loin de l’effet moisson… Cet article est loin d’être correct. Merci de faire plus de recherche avant de publier.
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Peut-on comparer le coronavirus et la grippe espagnole?
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