La réalité peut parfois revêtir des airs de science-fiction. Des caméras intelligentes vont être installées à l’entrée des villes françaises pour vérifier si les automobilistes sont autorisés à circuler en leur sein. À défaut, les contrevenants pourront être automatiquement sanctionnés d’une amende dès le second semestre 2024. Le déploiement des caméras anti-pollution est en marche, mais à quel prix pour les données personnelles des conducteurs ?
Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a officialisé cette annonce le mardi 25 octobre 2022 dans le cadre d’un comité interministériel sur le suivi des zones à faible émissions mobilité (ZFEm). Ces dernières sont des zones où les véhicules les plus polluants ne sont pas autorisés à circuler, afin d’améliorer la qualité de l’air. À compter du 1er janvier 2025, des ZFEm couvriront toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants (liste des communes concernées en annexe I et II).
Le conducteur d’un véhicule prohibé encourt une amende de 68 euros s’il ose pénétrer une ZFEm, et 135 euros pour les poids lourds, bus et autocars. Malgré cette pénalisation, des élus locaux estiment que sans sanctions systématiques des contrevenants, l’effet dissuasif perd en crédibilité. La pollution atmosphérique du fait des véhicules à moteur thermique risquerait de ne pas diminuer suffisamment, compromettant ainsi le respect des objectifs de qualité de l’air.
C’est dans ce contexte qu’intervient le déploiement des caméras munies d’un système de lecture automatique des plaques d’immatriculation (LAPI). Ce contrôle permettra d’envoyer automatiquement des amendes à tous les véhicules interdits, dans la continuité de ce qu’ont entrepris nos voisins belges ou britanniques.
Alors qu’outre-Manche, le niveau d’intrusivité des caméras LAPI est questionné au regard de la finalité environnementale poursuivie, ici, certaines villes telles que Toulouse ont manifesté leur motivation à franchir le pas et attendent de ce fait un soutien de l’État.
Dès 2019, la loi d’orientation des mobilités a encadré l’installation des dispositifs de contrôles fixes dans les ZFEm. Leur implantation devra être préalablement autorisée par le préfet de département ou le préfet de police à Paris. Au cours de l’instruction d’une demande, les autorités préfectorales vérifieront que les lieux de contrôle choisis respectent trois conditions imposées par la loi afin de ne pas massifier la surveillance des automobilistes.
Jusqu’à 15 % seulement du nombre moyen de véhicules circulant chaque jour au sein d’une ZFE pourront être contrôlés. En outre, la localisation des caméras ne devra pas permettre de détecter l’ensemble des véhicules entrant dans la ZFEm. Enfin, la quantité de caméras sera limitée, avec un nombre déterminé proportionnellement à la longueur totale de la voirie au sein de la ZFEm. Ainsi, il ne pourrait y avoir plus de 62 dispositifs de contrôles fixes à Paris, ou encore 6 à Grenoble.
La volonté affichée de ne pas surveiller l’entièreté du trafic a de quoi surprendre, d’autant plus que la finalité assumée est de dissuader tout routard muni d’un vieux tacot de « souiller », par sa simple présence, ces nouveaux temples de l’air à ciel ouvert. Le plafonnement du nombre de véhicules contrôlés vise surtout à limiter la quantité de données collectées pour rester dans les clous de la réglementation relative à la protection des données personnelles.
Sources d’inquiétudes légitimes, ces dispositifs constituent des outils de surveillance massive des déplacements des automobilistes. Alors que les radars fixes ne détectent que les véhicules en situation d’infraction, du fait d’un excès de vitesse, c’est la totalité des véhicules circulant dans le champ de vision des caméras intelligentes qui sont repérés. Ces dernières ne déduisent le droit ou non d’un véhicule à pénétrer la ZFEm qu’après la lecture de la plaque d’immatriculation et le croisement de cette information avec le niveau de pollution du véhicule détecté ou son éventuelle présence dans la liste des dérogations.
Dans ces circonstances, les autorités publiques accumuleront des données personnelles à propos de tous les véhicules repérés sur le tronçon contrôlé : identité du conducteur et des passagers, heure et lieu de passage…  C’est pourquoi la loi a restreint les possibilités d’utilisation des données issues de ce suivi à la trace des automobilistes.
Les caméras ne pourront servir qu’à constater les infractions liées à la circulation illicite des véhicules polluants dans les ZFEm. Toute autre utilisation des données collectées est prohibée. Les images des caméras anti-pollution ne pourront pas servir de support pour verbaliser un conducteur commettant une autre infraction, telle que l’usage du téléphone au volant. Une information dont le rappel n’est pas inopportun au regard des multiples contournements auxquelles se sont livrées certaines municipalités en matière de caméras LAPI.
La durée de conservation des informations relatives aux véhicules contrôlés sera limitée. Lorsque le contrôle automatisé établira qu’un véhicule est autorisé à circuler dans la ZFEm, les données collectées devront alors être immédiatement supprimées. En revanche, pour les contrevenants aux restrictions de circulation, leurs données pourront être conservées huit jours maximum, sauf si une procédure pénale est engagée entre temps. Les photos du conducteur et des passagers devront être floutées, de manière à ne pas pouvoir les identifier.
Le déploiement urbain des technologies de surveillance de masse entre dans une phase de verdissement des finalités poursuivies. Les communes seront facilement tentées de recourir aux caméras intelligentes pour faire respecter les restrictions de circulation anti-pollution. Cependant, elles ne pourront pas faire continuellement l’économie d’une réflexion plus large sur les impacts environnementaux induits par ces nouveaux usages numériques, la surveillance vidéo continue pesant son lot de données énergivores.
Dès 2023, elles vont devoir s’atteler à l’élaboration d’une stratégie numérique responsable et prévoir des mesures concrètes pour réduire l’empreinte environnementale du numérique. Relier le principe environnemental de sobriété numérique avec la minimisation de la collecte des données personnelles et la limitation des durées de conservation pourrait constituer un premier pas dans ce sens.
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