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Avec Les enfants des autres, portés par Virginie Efira, la cinéaste plonge dans le récit intime. En choisissant un sujet peu exploré, le lien entre une femme et l’enfant de son compagnon, elle surprend encore et signe un cinquième film intelligent, authentique et généreux.
Le cinéma s’est emparé de tant d’histoires que l’on croit parfois qu’elles ont toutes été racontées. Aussi faut-il célébrer les films qui parviennent encore à nous surprendre. Présenté en compétition à la Mostra de Venise et attendu en salles le 21 septembre, Les Enfants des autres, de Rebecca Zlotowski, est de ceux-là. Une prof sans enfants y tombe amoureuse d’un homme, papa poule d’une fillette : tout en questionnant son désir de maternité, elle tentera de trouver sa place dans ce noyau dur. Sur le papier, l’histoire est presque banale. Mais ce qui fait la force incroyable du film de la réalisatrice de Belle Épine, c’est sa perspective bienveillante mais sans naïveté sur le lien, peu exploré au cinéma, entre la belle-mère et la belle-fille.
Objet de toutes les caricatures, ou accessoire dans de nombreux récits, la belle-mère n’est plus la femme d’à-côté, elle est ici l’héroïne sensible, intelligente, investie, qui prend le risque d’aimer père et enfant malgré les possibles rejets et rupture. Tout sonne incroyablement juste, du bonheur de cette bien nommée belle-mère après une marque d’affection anodine de l’enfant, à sa douleur d’être évincée des anniversaires en famille.
Cette authenticité, le film la doit à Virginie Efira, qui, malgré son omniprésence sur les écrans, parvient une nouvelle fois à nous cueillir. Mais il la trouve surtout dans l’expérience intime de la réalisatrice, qui, maman depuis peu, a également connu les questionnements de son héroïne : gérer le quotidien d’un enfant qui n’est pas le sien, est-ce déjà être mère ? Comment transmettre sans avoir donné la vie ? Comment s’investir dans la vie de l’autre sans s’oublier ?
Avec ce film à l’écho si personnel, la réalisatrice franchit un nouveau cap. Belle Épine, Planetarium, Grand Central et Une fille facile illustraient avec brio son envie de cinéma, son esprit vivace ou sa volonté farouche de déconstruire les stéréotypes. Mais aucun d’entre eux ne possédait encore cette simplicité et cette générosité, qui, pourtant, la caractérisent aussi. «J’ai essayé de faire le film qui m’avait manqué», dit-elle des Enfants des autres. En réalité, il avait manqué à beaucoup d’entre nous.
«Enfant, j’ai été traumatisée par un événement violent, la disparition de ma mère. Je n’ai pas compris le monde dans lequel je vivais, et j’ai voulu le réorchestrer en faisant du cinéma. Longtemps, mes films sont nés d’une question de cinéma ou d’intellect, de maîtrise en tout cas. J’approchais les émotions par la pensée, l’articulation, l’agencement des idées. Mais Les Enfants des autres sont nés du corps, d’un constat plus fort que moi. Je ressentais une impuissance ontologique, féminine, liée à cette fameuse date de péremption en matière de fécondité.
Longtemps, mes films sont nés d’une question de cinéma ou d’intellect, de maîtrise en tout cas
Et c’est en acceptant cette idée que je crois avoir réalisé mon film le plus ouvert à ce jour. On ne parle que de la puissance des femmes, mais j’ai finalement beaucoup appris aussi à penser mon absence de maîtrise, mon impuissance. En parallèle de ce constat, je vivais aux côtés d’enfants qui n’étaient pas les miens. En écrivant, je voulais me donner des armes pour affronter cette situation, les partager avec d’autres pour qu’ensemble nous redevenions propriétaires de nos récits, que nous ne subissions plus uniquement le désir des autres.»
«Dans l’imaginaire collectif, la belle-mère, c’est la marâtre de Disney. Je voulais rompre avec cette image et lui rendre une place plus juste, plus loyale, parce qu’il y a une vraie générosité à s’occuper d’enfants qui ne sont pas les siens. Je voulais prendre une revanche sur la paresse des stéréotypes, comme je l’ai fait avec Zahia dans Une fille facile. J’aimerais que le lexique sur les belles-mères change, que la représentation globale de cette place-là soit modifiée, que les enfants qui voient débarquer une belle-mère ne la considèrent plus comme une menace, mais comme la possibilité d’un amour supplémentaire. Ma belle-mère, par exemple, a été quelqu’un de précieux dans ma vie. J’ai aussi eu autour de moi une constellation de femmes indépendantes, libres, intellectuelles, qui ont pris le relais. Ma marraine ou des amies de ma mère, par exemple, comme celle qui gérait l’option cinéma dans mon lycée. Je fais ce métier grâce à elle.»
Dans l’imaginaire collectif, la belle-mère, c’est la marâtre de Disney
«Un divorce est traumatique pour les enfants. Quand on devient belle-mère, et que l’on a conscience de la douleur que peut susciter une séparation, trouver sa place est délicat : on ne veut pas représenter un poids supplémentaire pour l’enfant. On a certes très envie de lui manquer – c’est très narcissique – mais on apprend à s’effacer sans que cela ne se voie. Même lorsqu’on s’investit dans son quotidien, on reste figurante : les décisions ne vous appartiennent pas, vous les subissez souvent, l’enfant ne vous donne que ce qu’il veut donner… C’est un soulagement parfois, mais cela peut être une grande douleur. C’est de cela que je voulais parler dans mon film, de ce que j’ai en partie vécu. J’ai la sensation que ce lien a encore été peu exploré, peu regardé au cinéma.»
«Dans le cinéma contemporain, il existe une grille d’émotions que l’on travaille énormément, comme la colère ou le conflit, considérés comme très cinématographiques. La belle-mère est, par exemple, souvent montrée en rivalité avec la mère, ou en guerre avec les enfants. Pourtant, dans mon quotidien, je vois des hommes et des femmes différents qui cherchent l’apaisement et ont le courage d’exprimer leurs émotions et leurs besoins en toute transparence, avec recul et intelligence.
C’est pour cette raison que j’ai souhaité affranchir mes personnages des normes scénaristiquement admises, en leur octroyant le droit d’être bienveillants, doux, non hystérisants. La relation entre Chiara Mastroianni, qui incarne la mère de l’enfant, et Virginie Efira, qui joue la belle-mère, est ainsi apaisée, car, finalement, aucune d’entre elles ne cherche à faire souffrir l’autre, et elles le verbalisent : “Arrêtons de nous excuser à la place des hommes”.»
Dans le cinéma contemporain, il existe une grille d’émotions que l’on travaille énormément, comme la colère ou le conflit, considérés comme très cinématographiques
«Jusque très récemment, le sujet du désir d’enfant appartenait de manière archétypale au féminin. Notre industrie, où la chaîne de financement et de diffusion est encore principalement masculine, y voyait une marge, et cette idée était intégrée par de nombreux cinéastes, moi compris. Il suffit de regarder mes premiers films, dont les environnements sont très virils, phalliques : un circuit de moto clandestin dans Belle Épine, une centrale nucléaire dans Grand Central, un studio de cinéma des années 1930 dans Planetarium…
Mais le travail qui a récemment été accompli nous a libérés du jugement et de l’autocensure. L’industrie s’est également rendu compte qu’il y avait une urgence économique à s’intéresser à de nouveaux publics et récits, à dégenrer les sujets. Or, la question du désir d’enfant nous réunit toutes et tous. Les hommes se la posent aussi. Ainsi, ils ne sortent pas non plus indemnes des épisodes de fausses couches : ils ressentent l’impuissance et l’injustice face à la grossesse qui n’arrive pas.»
«La société s’organise pour empêcher les femmes de se rêver différemment : elles doivent procréer, et c’est ainsi. Tout nous y renvoie. Pour en finir avec cette idée archaïque, il faut d’abord que l’on règle la possibilité d’avoir un enfant absolument quand on veut, sans limite d’âge, comme pour les hommes. Ce n’est qu’ainsi que le désir d’enfant de chaque femme pourra être questionné de la meilleure façon possible, indépendamment de toute construction sociale. Il faut aussi changer le lexique, ne plus parler de grossesse gériatrique, de femme nullipare… Ce sont des endroits de combat essentiels, et la fiction peut contribuer à assouplir les regards. Cela me semble d’autant plus important de remettre les choses à plat après l’interdiction récente de l’IVG dans certains États américains.»
La société s’organise pour empêcher les femmes de se rêver différemment : elles doivent procréer, et c’est ainsi
«Ce film, c’est aussi une lettre d’amour aux femmes qui n’ont pas d’enfant et dont j’ai fait partie jusqu’à mes 41 ans. Je me sens d’ailleurs encore très proche d’elles, car mon schéma de pensée s’est longtemps construit à leurs côtés. Comme je le dis dans le film, il y avait même une forme de fierté à appartenir à cette communauté, parce qu’elle s’est construite à la marge, parce qu’elle est un vivier d’histoires, parce que leurs vies sont aussi pleines et épanouies que toutes les autres, du moins quand cela résulte d’un choix… Et quand ce n’est pas le cas, nos souffrances peuvent aussi devenir nos plus grands trésors. Elles nous rendent uniques, et nous donnent parfois une grille de lecture plus sensible sur le monde qu’il faut chérir.»
Ce film, c’est aussi une lettre d’amour aux femmes qui n’ont pas d’enfant et dont j’ai fait partie jusqu’à mes 41 ans
«En sortant du tournage de la série Les Sauvages, Roschdy Zem et moi lisions le même livre de Romain Gary, Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable. Nous avons décidé de l’adapter et, en écrivant, j’ai compris que le film parlait plus de ma date limite que de celle d’un homme. J’ai changé de braquet, et je suis revenu vers Roschdy avec cette autre histoire dont il n’était plus le protagoniste principal. Il m’a alors répondu : «C’est comme si j’attendais un garçon et que j’ai finalement eu une fille. Je l’aimerais tout autant.» Cela lui tenait à cœur de déconstruire l’idée de sa virilité et de sa masculinité faussement triomphantes, telle qu’elle peut être projetée, souvent avec des archétypes postcoloniaux. Quant à moi, je voulais montrer qu’un bon père est aussi une bonne mère, qu’un homme peut être un modèle pour ses filles. Je crois beaucoup à la transmission du féminin par des hommes aimants, intelligents, déconstruits. C’est ce que j’ai eu la chance de vivre avec mon père, qui joue celui de Virginie dans le film.»
«Quand émerge un visage comme celui de Virginie Efira, c’est un cadeau pour un cinéaste. Elle porte en elle une expressivité très forte et une immense capacité d’émotions, sans impudeur. Elle émeut dans la dignité. Ce qui a fait d’elle une sœur, c’est la façon dont elle a construit sa féminité. J’ai plus de mal à m’identifier aux femmes qui ont une grâce innée, une beauté éthérée, mystérieuse. Elles représentent pour moi une dimension romantique de la création dans laquelle j’ai l’impression que les hommes se projettent davantage. Mais, pour moi, une femme ne peut pas être un point d’interrogation. Il y a chez Virginie cette beauté absolue et ces mains terriennes, ce masculin, ce féminin et cet enfantin qui coexistent dans un même corps. Je m’y suis reconnue, comme je sais qu’elle a pu se reconnaître à différents endroits de mon récit.»
Les Enfants des autres, de Rebecca Zlotowski, avec Virginie Efira, Roschdy Zem, Chiara Mastroianni… Sortie le 21 septembre.
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Rebecca Zlotowski : «Ce film, c’est aussi une lettre d’amour aux femmes qui n’ont pas d’enfant»
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