Salomé Grouard —
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Avant d’être la fête que nous connaissons aujourd’hui, Halloween était une célébration de la mort. D’après des croyances celtiques, la frontière entre le monde des morts et des vivants s’ouvrait à cette période de l’année pour y laisser passer les esprits. Cette relation intime avec l’au-delà a traversé le temps, et fait d’Halloween la festivité la plus ésotérique du monde occidental. Encore aujourd’hui, on y célèbre l’occulte avec des déguisements, films et autres produits de la pop culture sur les fantômes, vampires, monstres et sorcières. Du Dracula au fantôme sous son drap blanc, ces légendes centenaires persistent… mais n’effraient plus vraiment.
«Les fantômes et autres créatures effrayantes d’Occident ne font plus aussi peur qu’avant, explique Andrew Alan Johnson, chercheur invité au centre des études d’Asie du Sud-Est de Berkeley. Beaucoup de fantômes ont été aseptisés par notre culture, et sont devenus des reliques historiques, figés dans le passé.»
Les fantômes et monstres liés à nos croyances régionales et nos légendes ancestrales n’effraient plus autant qu’avant. Pour y pallier, de nouvelles légendes urbaines ont été inventées, telles que le fameux Slenderman, créé à partir d’un même en 2009. D’autres personnes se sont tournées vers des croyances plus lointaines, pour un peu plus d’horreur. Ces derniers temps, c’est l’ésotérique asiatique, et plus particulièrement celui de l’Asie du Sud-Est, qui a pris le dessus. Et pour cause: leurs fantômes sont particulièrement terrifiants.
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Oublions Casper et autres fantômes de rois de France et parlons gore, avec des têtes flottantes, des vampires mangeurs de femmes enceintes, des bébés maléfiques et des entrailles sanguinolentes. Dans toute la région de l’Asie du Sud-Est, mais plus particulièrement en Thaïlande, au Laos et au Cambodge, se balade la nuit Krasue –aussi connue sous le nom de Ahp en khmer, et Kasu en lao.
C’est un esprit représenté par la tête d’une très belle femme, flottante, aux entrailles internes complètement visibles, pendues à son cou. Elle se nourrirait de toute sorte de chair fraiche et d’excréments, mais serait particulièrement friande de femmes enceintes. Pour protéger ces dernières, il était assez commun d’entourer leur maison de branches épineuses, et d’enterrer le placenta loin de son logement une fois l’accouchement passé.
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Phi Pob est un autre esprit féminin cannibale très répandu dans la région. Cette dernière possèderait les corps de ses victimes et les utiliserait pour chasser de la viande crue. Et elle aurait un petit penchant pour les intestins humains. Pour s’en débarrasser, il faut se faire exorciser.
Au Laos, on retrouve le Phi Kong Koi, un fantôme se cachant dans la jungle. Il est représenté par une créature difficilement caractérisable, dont l’apparence se situe entre celle d’une grand-mère et d’un singe, et qui se balade sur une seule jambe. Ce dernier adore se nourrir du sang de voyageurs et voyageuses de passage dans la jungle, qu’il aspire depuis leur gros doigt de pied.
En Indonésie ou en Malaisie, on retrouve le Pontianak, ou Kuntilanak, le fantôme d’une femme morte durant sa grossesse, et qui prend la forme d’une créature proche du vampire. On la reconnait grâce à ses yeux rougis, sa robe blanche, ainsi que son odeur florale. Elle se manifeste en terrorisant des villages entiers pour se venger, principalement des hommes. Dans la même famille, on retrouve la Langsuyar en Malaisie ou en Indonésie.
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Un autre esprit populaire dans le folklore malaisien se trouve être l’Orang Minyak. Il est représenté comme un homme recouvert de graisse noire et brillante qui enlève des jeunes femmes la nuit. C’est sans compter le Kuman Thong, aussi connu sous le nom d’«enfant doré» ou «enfant sacrifié». Ce sont des esprits de fœtus ou de bébés qui ont été adoptés par des familles. Ces esprits se nourrissent de l’âme de la famille, et en contrepartie, cette dernière possède un allié dans l’au-delà.
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On l’aura compris, les fantômes de la région sont nombreux, omniprésents et terrifiants. La première chose intéressante à remarquer dans ces représentations est la grande implication des femmes, et des femmes enceintes. Pour Andrew Johnson, la réponse se trouve dans la culture locale aussi bien que mondiale:
«Dans nos sociétés et dans le bouddhisme en général, il y a une dualité certaine liée aux genres. L’homme est plus naturellement associé à la raison, à la sagesse, aux moines et aux esprits protecteurs. La femme, en revanche, est rapidement associée aux émotions fortes, négatives, expliquant leur représentation dans le folklore local.»
Il ajoute que les fantômes sont aussi la représentation des oppressé·es qui reviennent se venger. Alors que les victimes de l’oppression et des violences sociétales sont généralement des femmes, elles ont d’autant plus de raisons de revenir hanter les vivants. La relation fantômes-grossesses, elle, s’explique principalement par la religion locale. Un fœtus ou un bébé mort représente une vie qui n’a pas pu être vécue: une pensée terrifiante dans le système de réincarnation, dont la croyance prévaut dans la région.
Cependant, si les fantômes d’Asie du Sud-Est continuent d’influencer la région, ce n’est pas uniquement à cause de leur symbolique, mais aussi à cause de leur ancrage dans le quotidien des gens. Car oui, les personnes voient des fantômes, et oui, tout le monde a le potentiel pour en devenir un.
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«Les fantômes en Asie du Sud-Est sont plus craints parce qu’ils sont ancrés dans la réalité. La culture du fantôme a réussi à persister dans le temps, et hante toujours les habitants», explique Andrew Johnson.
Effectivement, les fantômes n’ont jamais été aussi présents que dans la région. Entre le culte des ancêtres au Vietnam et la vénération quotidienne d’esprits protecteurs en Thaïlande, l’Asie du Sud-Est a intégré le concept d’esprits ou de fantômes depuis bien longtemps. Dans la région, on parle souvent d’un mélange de traditions animistes, brahmaniques et bouddhistes. Cela rend la culture des esprits diverse, complète, et omniprésente. Elle est racontée aux enfants dès leur plus jeune âge. Outre les gardiens de lieux, les esprits de la nature et ancêtres, il y a ceux qu’on craint le plus: les Phi Tai Hog en thaï, où «les fantômes ayant subi une mort violente».
«Quand une personne meurt, elle est censée se réincarner rapidement, explique Johnson. Mais si elle a une mort violente, comme un accident de voiture, un meurtre, une fausse couche… C’est là où l’âme reste bloquée sur terre. Par définition, la présence de cette dernière ne peut pas être bonne parce que si elle est encore là, c’est qu’elle n’est pas être en paix avec sa mort.»
Au cœur de cette région pleine de fantômes, il y a la Thaïlande. Le pays est aujourd’hui considéré comme la capitale mondiale de l’occulte. Les fantômes sont tellement présents dans la vie quotidienne que près de 70% de la population thaïlandaise porterait des amulettes pour s’en protéger. On estime que ces amulettes sont vendues chaque années pour l’équivalent d’1,25 milliard de dollars (soit environ 1 milliard d’euros). Certaines personnes en porteraient une dizaine tous les jours.
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«Le mot pour “fantôme” en thaï, “phi”, veut dire bien plus de choses que juste fantôme. Ça peut aussi dire anges, fée, gobelin, ça peut aussi se comprendre comme un corps. Il y a des sous-entendus surnaturels tout en représentant un concept très physique», explique Andrew Johnson.
La dernière signification de «phi» est «paria». «Les fantômes sont traités comme les êtres humains, et possèdent les mêmes codes sociaux. Si quelqu’un est bizarre, pas ordinaire, on le traitera de fantôme. C’est une bonne manière de conditionner la vie sociale.»
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Ces fantômes sont tellement physiques que la police est régulièrement appelée pour s’en occuper. En 2017, des forces thaïlandaises ont été envoyées dans un village de la province d’Amnat Charoen pour s’occuper d’une Phi Pob, cet esprit féminin qui se nourrirait de viande fraîche. D’après les habitant·es du village, elle aurait tué près de quatre vaches et aurait rendu malade quatre garde-frontières. De nombreuses morts mystérieuses au fil des années ont aussi été expliquées par la présence de Phi Pob dans des villages.
Johnson se rappelle également un épisode où l’une de ses interlocutrices, à Chiang Mai, avait appelé la police parce qu’une Krasue, la tête volante mangeuse de femmes enceintes, se baladait dans sa résidence. «La police est arrivée, a confirmé avoir vu la tête volante. Les officiers ont sorti leurs pistolets et lui ont tiré dessus pour qu’elle s’en aille», raconte-t-il. Alors, même pas peur?
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