Le quartier Montconseil n’échappe pas au froid de ce début du mois de décembre. A une trentaine de kilomètres au sud-est de Paris, Azdine Ouis, ami d’enfance de Walid Regragui, a sorti l’écharpe pour faire le tour de la cité.
Il y a une quarantaine d’années, la température ne les empêchait pas de taper le ballon devant l’actuel gymnase, ancien terrain d’entraînement, à quelques pas de la Tour 25 où a grandi l’actuel sélectionneur des Lions de l’Atlas, aujourd’hui détruite.
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“C’est une place symbolique”, affirme l’éducateur de l’association D.A.F (détection accompagnement football). Ici se jouaient les AC Milan-Barcelone.” Le Milan de Walid Regragui, fan de la meilleure équipe italienne du moment où brillaient les Néerlandais Gullit, Rijkaard “mais surtout Van Basten, c’était son joueur” face au Barça d’Azdine, plus attiré par les Cruyff, Romario et Koeman.
“On passait nos samedis ici avant les matchs officiels avec l’AS Corbeil le dimanche. On jouait pendant trois ou quatre heures, on y a appris les bases du football et les valeurs qui vont avec.” Mais au-delà des matchs d’entraînement qui réunissaient les jeunes de Montconseil, “Walid arrivait surtout à créer une dynamique pour les rendez-vous contre la cité rivale des Tarterêts” à quelques centaines de mètres plus au nord.
Dans cette équipe rivale était présent Saïd Elhoujjaji “rival sur le terrain mais une fois le match terminé on avait tous gagné, rappelle le responsable de l’association Déclic Citoyen, les souvenirs intacts. Au lycée, on m’appelait Front National du Maroc car je défendais toujours le pays, j’étais supporteur des Lions quand personne ne l’était. En 1994, Walid m’a dit, droit dans les yeux, un jour je jouerai en équipe nationale et il l’a fait. Maintenant il est coach, c’est exceptionnel. J’ai la petite larme parce que je me dis… que de belles choses pour ces jeunes de Corbeil-Essonnes.”
Les deux hommes ont gardé une relation solide et beaucoup d’estime “Walid se résume au travail, à l’abnégation, à la rigueur et au sérieux. Il ne lâchait jamais rien aux entraînements. Pour lui, la réussite provenait du travail. Il répète de croire en soi et porter ses rêves haut. Il a toujours dit, dans ses conférences de presse, que s’il n’avait pas rêvé, il n’aurait jamais atteint ce niveau.”
Rêver, il l’a fait plusieurs fois avec Georges Collonette, l’actuel patron du Jazz Barber Shop de la ville de plus de 50 000 âmes. Ensemble, les amis ont connu la CFA2 sous le maillot vert et blanc de l’AS Corbeil où Rudi Garcia, coach de l’équipe senior, a repéré le potentiel de Walid Regragui. “J’avais 18 ans et lui 20 ans, se remémore Georges, assis sur un agréable fauteuil marron de son établissement, presque prêt à se faire tailler la barbe. Oon allait au Carrefour de Villabé, juste à côté d’ici. Il y avait une formule à 10 francs à la Brioche Dorée. On n’avait pas 10 francs chacun donc on la prenait à deux, on partageait la pâtisserie et je prenais le jus d’orange. Je lui répétais qu’il allait être un grand joueur, lui me disait non ce sera toi. Je l’ai eu il y a quelques jours au téléphone, on s’est reparlé de ce moment, je lui ai dit qu’un d’entre nous avait menti… et que ce n’était pas moi.”
Qu’il soit passé professionnel voire coach, l’homme de 47 ans est resté proche de ses racines: “On a un regard objectif sur ce qu’il fait et sur ce qu’il est, Wal’ a besoin de ça. De sentir la reconnaissance des gens qui le connaissent depuis le début.” Demandeur d’avis jusqu’au choix vestimentaire. “Il a commencé à devenir stylé quand il a perdu ses cheveux parce qu’en jeune ce n’était pas ça… mais comme nous tous, se marre Georges. La mode, ce n’est pas un problème pour lui. Il y a quelques semaines j’étais avec lui à Séville pour le deuxième match de préparation au Mondial contre le Paraguay. Dans sa chambre, il m’a demandé s’il mettait le survêtement. Le premier match, face au Chili, il s’était mis en costard, il m’avait surpris et je l’avais trouvé bien. Il me dit ce soir je remets le survêt’ je lui ai dit non reste en costard tu passes bien tu fais plus sérieux.” Depuis, il n’a plus lâché son élégante tenue.
Encore joueur, l’idée de devenir coach était assez claire dans la tête de Walid Regragui. Déjà adolescent, il était considéré comme “un grand du quartier” explique Azdine “un leader naturel. Quand on jouait, c’était le capitaine.” “Il a toujours eu une position de grand frère, toujours de bons conseils, surenchérit Georges. Des conseils objectifs, jamais intéressé. Il aurait pu être agent de joueur, des gens l’ont d’ailleurs sollicité pour ça car il est respecté dans le milieu, mais lui n’était pas intéressé. Il voulait être entraîneur.”
Autre ami d’enfance de Walid Regragui, Habibou Diagouraga est de passage devant le Jazz Barber Shop. D’abord réservé à l’idée de parler d’un homme qu’il estime beaucoup, il lâche finalement une anecdote “Walid a rencontré un de mes gars qui est en centre de formation. On était au restaurant, on parlait normalement, il lui a demandé ce qu’il voulait boire et mon garçon lui a répondu un Coca, il n’a rien dit puis lui a demandé à quelle heure il se couchait le soir, réponse : 23 heures. A la fin du repas, il lui a dit si tu ne changes pas tu n’y arriveras jamais. C’est ça Walid: il questionne, il observe et après il parle. Et quand il parle, tout le monde l’écoute.”
En quelques semaines, ces qualités lui ont permis de souder une équipe marocaine tombeuse de la Belgique, du Canada, de l’Espagne tout en tenant tête à la Croatie. “Quand j’apprends que 99% des joueurs qu’il entraine pour ne pas dire 100%, l’adorent, je ne suis pas étonné” avoue Rolland Courbis qui a recruté ce “garçon attachant” à Ajaccio en 2001, alors qu’il était au chômage.
“Il arrive à fédérer le vestiaire, il a réussi à réunir tout l’effectif marocain éparpillé un peu partout, il s’est déplacé… peu de sélectionneurs le font, enchaîné le consultant. C’est de la psychologie, c’est intelligent. Qu’il puisse être récompensé n’est pas tombé du ciel quelle que soit la religion que l’on a.” S’il a vu passer de nombreux joueurs sous ses ordres, Coach Courbis a vu en Walid Regragui ce qu’il n’a pas su deviner chez Zinedine Zidane: “Jamais je n’aurais pensé que Zizou serait entraîneur, je le voyais beaucoup trop renfermé. Walid faisait lui fait partie de ces joueurs toujours intéressés sur le mécanisme de l’organisation, c’est un gars avec qui on prend plaisir de travailler et discuter. Il donne envie d’entraîner.”
Et de le suivre. L’enfant de Corbeil-Essonnes est devenu un exemple dans sa ville natale. “On peut s’identifier à lui, avance Anas, ami d’un de ses frères (Walid Regragui est le troisième d’une fratrie de six). Il vient de notre quartier, il a fréquenté les mêmes endroits que nous, il a quasiment le même parcours que nous… On peut se dire que c’est possible pour tout le monde.”
Au détour d’une rue de Montconseil, un jeune du quartier est curieux “Vous venez parler de Walid? Je peux dire quelque chose?”. La réponse est positive, Fayçal est en joie. “On sort d’un quartier un peu défavorisé, il n’y pas beaucoup de moyens de s’en sortir. Voir un grand du quartier aller à la Coupe du Monde et qualifier le Maroc… Moi j’ai 20 ans, je n’avais jamais vu le Maroc gagner en Coupe du Monde. Avant la Belgique, jamais. C’était une joie de folie, je tremblais, Walid m’a fait découvrir ces émotions! On n’est pas que fier, c’est plus fort que ça, il faut inventer un mot.”
Ses amis d’enfance n’auraient pas non plus misé sur une telle réussite. “On savait qu’un jour ou l’autre il allait faire quelque chose de grand, assure le coiffeur-barbier Georges. “De là à imaginer un quart de finale de Coupe du Monde… c’est tellement énorme.” Azdine, reconnaissant envers celui qui a grandi dans sa tour et qui aide financièrement son association voit encore plus loin: “A partir du moment où il a passé les poules, il a tout gagné. Aujourd’hui, c’est que du bonheur. Il est dans la légende du football mondial et j’espère qu’il sera élu meilleur coach de la Coupe du Monde.”
Il sera quoi qu’il arrive l’une des plus belles surprises du Mondial pour un de ses mentors, Rolland Courbis: “Voir Walid entrer dans l’histoire comme étant le seul sélectionneur africain à atteindre les quarts de finale de Coupe du Monde, c’est exceptionnel pour lui et pour les gens qui l’adorent et j’en fais partie.”
Ce samedi, face au Portugal, le Maroc peut continuer d’écrire l’histoire, si par malheur le chemin s’arrêtait en quart, les quartiers de Corbeil-Essonnes sont déjà prêts à l’accueillir en héros. “On a mobilisé toutes les forces vives du quartier, promet Azdine, candidat à la dernière élection régionale et prêt à se présenter aux prochaines municipales. On a fait une réunion avec les associations, le but sera de réaliser une grande fresque comme ce qu’ont fait les amis de Benzema à Bron, proche de Lyon. Soit sur le bâtiment derrière le Gymnase de Montconseil soit sur le devant de la maison de quartier de La Péniche. On va essayer de mettre le paquet pour la réaliser puis inviter Walid parce qu’aujourd’hui, c’est l’enfant prodige de Corbeil-Essonnes, une fierté, un exemple qui incarne des valeurs de vivre ensemble, de résilience et d’espoir pour la jeunesse d’ici.” Fayçal sera de la partie: “On va graver son blase! Je ne sais pas si on va faire une fresque dans la cité ou écrire son prénom en noir et blanc ou afficher une photo de lui mais il a marqué le quartier!” En plus d’avoir marqué l’histoire du Maroc.
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