Anaïs Bordages — Édité par Diane Francès
Temps de lecture: 6 min
Bienvenue dans Anaïs regarde beaucoup trop de choses. Le principe de cette chronique est simple: après avoir regardé tout et n’importe quoi à la télé, notre experte séries Anaïs Bordages repousse ses limites au-delà du petit écran.
Il y a des choses pour lesquelles je n’ai jamais ressenti une impatience particulièrement vive: la déclaration mensuelle à Pôle emploi, le passage à l’heure d’hiver, la sortie d’Avatar 2. Il y a quelques semaines, je vous aurais dit que le seul «tar» qui trouvait grâce à mes yeux, c’était celui de Todd Field.
Je fais partie des quelques losers qui ont raté le premier volet réalisé par James Cameron lorsqu’il est sorti en salle –on était en 2009, je devais être trop occupée à me couper la frange en écoutant Cœur de pirate. Lorsque j’ai enfin rattrapé Avatar un peu plus tard, sur un ordinateur dans un open space comme Christopher Nolan l’aurait voulu, je ne savais pas si mon avis mitigé tenait aux conditions de visionnage ou au film lui-même. Autant dire qu’Avatar 2, nom patronymique Avatar: La voie de l’eau, en salle le 14 décembre 2022, n’était vraiment pas sur mon radar.
J’étais encore moins enthousiaste en découvrant que le film dure 3h13. Trois heures treize! Cent quatre-vingt-treize minutes! C’est plus long qu’un aller-retour Paris-Poitiers! Vous allez me dire: «Qui se taperait un aller-retour Paris-Poitiers plutôt qu’aller au cinéma?» Je ne sais pas, je ne juge pas les choix des autres. Mais surtout, vous allez aussi me dire: «3h13? Non merci. J’ai des choses à faire en fait. J’ai des enfants à nourrir, un crédit à rembourser, des plinthes à nettoyer, je n’ai absolument pas le temps d’aller passer 3h13 en compagnie de gens bleus avec des queues.» Eh bien vous avez tort.

Qu’on s’intéresse ou non aux problèmes d’un groupe d’humanoïdes bleus affublés de tresses magiques et sous-titrés en police Papyrus (au grand désarroi de Ryan Gosling), Avatar est un spectacle indéniable. C’est une excursion irréelle de plongée sous-marine à 15 euros la place. «Ushuaïa» sous kétamine. Une bouffée d’espoir en 3D, une échappatoire en High Frame Rate qui rejoint immédiatement le club des meilleurs deuxièmes volets de l’histoire, avec Evil Dead 2, Le Parrain 2, Paddington 2 et 2 Fast 2 Furious. Autrement dit, c’est Avataré (pardon).
Une personne très intelligente (le monteur Walter Murch) a dit que la télévision est un écran que l’on regarde (look at), et le cinéma un écran dans lequel on regarde (look into). Avatar 2 en fait la démonstration au carré.
Dès les premières minutes, un ajustement s’impose: même en ayant une vision parfaite, on a quand même l’impression de sortir d’une opération Lasik. C’est simple, je n’avais jamais rien vu d’aussi net de ma vie à part mes échecs personnels. Les yeux écarquillés, on se prend à admirer les stries de chaque ongle, le relief de chaque cil, la texture de chaque poil de duvet sur la lèvre d’un personnage. Si le cinéma est le septième art, les détails dermatologiques dans Avatar sont sans aucun doute le huitième. Mais attention, comme une raclette après le ski, ça se mérite.
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La première heure, parfois laborieuse, resitue les enjeux pour ceux qui auraient oublié les événements du film précédent –sorti à une époque où Nicolas Sarkozy était encore une figure politique pertinente, le virus le plus populaire s’appelait H1N1, et les paquets de cigarettes ne coûtaient que 5 euros. Si vous avez commis l’erreur de vous hydrater avant la séance, ces premières soixante minutes sont votre occasion pour aller aux toilettes –ironique d’appeler son film La voie de l’eau quand la meilleure manière d’en profiter est de se dessécher intégralement pendant les douze heures qui précèdent le visionnage.
Pour que vous puissiez uriner l’esprit tranquille, essayons de résumer l’histoire le plus simplement possible: alors que Jake Sully, le héros du premier volet, se la coule douce avec sa famille bleue (Na’vi pour les nerds), le colonel Quaritch, un méchant militaire tué par Jake, est ressuscité et décide de prendre sa revanche. Pour ne pas attirer des ennuis à leur tribu, Jake, sa femme et ses quatre enfants doivent alors déménager: adieu la forêt de Pandora et ses montagnes suspendues, bonjour la plage et le soleil chez le clan des Metkayina (mot que j’ai évidemment copié-collé). Dans ce nouvel environnement, les Na’vi ne sont plus tout à fait bleus mais verts, et passent le plus clair de leur temps à chiller dans la mer avec des poissons hyper-intelligents. Le rêve.
C’est à ce moment-là que le film prend une nouvelle dimension.
James Cameron, dont on peut certainement dire après Abyss ou Titanic qu’il est toujours plus heureux lorsqu’il est un poisson dans l’eau, déploie un rêve sous-marin sur grand écran. Dès que les scènes aquatiques ont commencé, j’ai oublié que j’avais un corps, une vessie, un travail et des factures, et j’ai été complètement submergée par la beauté des paysages et la fluidité des images. J’étais aussi émerveillée que Stéphane Rotenberg devant un cromesquis.
Chaque branche de corail, chaque étoile de mer et créature sous-marine s’est vue accorder une affection infinie, et le film a beau durer trois heures, on pourrait en passer trois de plus dans cet univers à couper le souffle. En fait, j’ai besoin de tout savoir sur chaque poisson de ce film. Je veux un spin-off sur les coquillages. Un Real Housewives of Pandora. Un White Lotus en 3D situé sur les rives de Metkayina.

Moi devant ce film.
Et heureusement qu’on en prend plein la vue: c’est comme si tout l’argent était parti dans les effets spéciaux, et qu’à la fin, il ne restait plus de budget pour les dialogues (c’est comme ça que fonctionne le cinéma, non?). Certains personnages, surtout les militaires, communiquent entièrement en clichés. «Respecte ma sœur», s’indigne un des héros Na’vi lorsque sa sœur est insultée par les jeunes verts du coin. «Je vais te coller une raclée», grogne le père à un de ses ados récalcitrants.
Avatar 2 a beau se dérouler dans un futur lointain, les rôles genrés y sont plutôt rétrogrades: la mère pleure tandis que le père serre la mâchoire face à l’adversité. Les personnages d’ados, eux, s’appellent «bro» tellement souvent qu’on dirait une parodie de Billy Eichner sur la masculinité toxique. Il y a aussi un ado blanc avec des dreads qui se prend pour un Na’vi, mais moins on en dit sur lui, mieux ce sera.
Voilà pour les défauts. Mais au fond, on s’en fiche. Parce que le plus important, ce sont évidemment les poissons. Ou plutôt: les poissons. Géants. Qui volent. Le milieu du film, soit la meilleure partie, est notamment dédié à un training montage (LA meilleure convention du cinéma) où les enfants de Jake Sully s’entraînent à surfer à dos de poissons-dauphins-tortues qui volent. À moins que ce ne soient des canards-requins qui volent? Aucune idée, mais dans tous les cas en matière de transport, c’est bien mieux que ce que la RATP prétend nous offrir en ce moment.

Mieux que la ligne 4.
Et puis il y a les baleines. Ne me lancez pas sur les baleines. Ou plutôt: les baleines. Géantes. Qui pleurent. Dans cet univers, on les appelle les «tulkuns», et ce sont peut-être les meilleurs mammifères de l’histoire de la fiction: intelligentes, sensibles, affectueuses, capables de couler des navires de guerre. Pas hyper pratique comme animal de compagnie, vu qu’elles font la taille et la circonférence de deux tours Montparnasse –mais c’est précisément le propos: la nature sauvage devrait le rester.
Dans la dernière partie du film, James Cameron, que rien n’excite plus que de couler des bateaux, cite ouvertement son propre chef-d’œuvre (Titanic) avec des séquences d’action immergées haletantes. C’est le moment où vous sentirez tout votre corps se contracter –et pas seulement parce que votre vessie est sur le point de se fissurer. Dialogues maladroits ou pas, Cameron est un maître du cinéma d’action, et a su insuffler dans ce deuxième volet l’émotion nécessaire pour créer un divertissement inoubliable.
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Au-delà des effets visuels époustouflants, il y a aussi quelque chose de poignant, après les derniers étés rythmés par la sécheresse et les désastres naturels, à se laisser envelopper dans un monde aussi bleu, fertile et luxuriant. La voie de l’eau n’est pas qu’un immense spectacle de cinéma, c’est un superbe manifeste sur la nécessité de traiter la nature avec révérence.
Même si on ne va pas se mentir: le meilleur moment du film, c’est quand même quand on peut enfin aller aux toilettes après le générique de fin.
Retrouvez chaque semaine Amies, le podcast d’Anaïs Bordages et Marie Telling dans lequel elles (re)découvrent des séries ou films cultes.
Avatar: La voie de l’eau
de James Cameron
avec Sam Worthington, Zoe Saldana, Sigourney Weaver
Séances
Sortie le 14 décembre 2022
Durée: 3h13
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