La nouvelle collection de haute joaillerie de Cartier est un hommage aux richesses de la nature et des cultures à travers le monde, mais aussi à l’histoire et au patrimoine du joaillier lui-même. Pierre Rainero, directeur de l’image et de ce patrimoine de la prestigieuse maison, nous explique.

Madrid est habituée aux fêtes spectaculaires, mais, même au regard des habitudes locales, celle-ci l’était encore plus que d’habitude. Une soirée de gala dans une résidence de l’aristocratie du 18e siècle, un dîner signé du chef étoilé espagnol Jesús Sánchez pour pas moins de 300 invités, des mannequins en haute couture espagnole et un concert des Black Eyed Peas : Cartier n’a pas lésiné sur les moyens.
La maison de joaillerie française a ainsi présenté sa nouvelle collection de haute joaillerie baptisée Beautés du Monde: plus de 90 pièces uniques et faites à la main pour une clientèle tout aussi discrète et aisée, comparable à la haute couture dans le monde de la mode. Pour l’occasion, Cartier s’est installé pendant plus de deux semaines dans une ancienne ambassade britannique, où elle n’a reçu que ses clients les plus fidèles, ainsi que la presse, les célébrités et autres « amis de la maison ».

Cartier a acquis le statut de fournisseur espagnol de la Cour royale en 1904, c’est donc un lien historique qui la lie à Madrid. Elle a également sauvé le bâtiment de l’ambassade, un exemple frappant du brutalisme des années 1960. En effet, le projet de WS Bryant et Luis Blanco-Soler était en souffrance depuis des années, jusqu’à ce que Cartier finance sa rénovation et, dans la perspective d’exposer les bijoux, elle a aussi demandé au designer espagnol Jaime Hayón d’adapter les intérieurs.
Tout cela s’inscrit parfaitement dans le thème de la collection Beautés du Monde : les richesses naturelles et culturelles du monde et le regard que Cartier pose dessus. Des plumes de paon, des montagnes escarpées, des coquillages, le mouvement des planètes, un puzzle chinois, un kimono japonais ou les attributs des tribus amazoniennes : les créateurs ont tout traduit en bijoux somptueux, souvent sculpturaux, qui expriment la géométrie, le mouvement, des combinaisons de couleurs audacieuses et d’autres caractéristiques propres au style du bijoutier.
« Les créations de haute joaillerie sont essentielles pour cette maison », rappelle Pierre Rainero, directeur de l’image et du patrimoine chez Cartier. “En tant que bijoutier, c’est ainsi que nous avons commencé au milieu du XIXe siècle: par la création de pièces uniques. Elles requièrent un état d’esprit et une approche très différents des bijoux produits en série, que Cartier n’a commencé à fabriquer que vers 1910, 1920. Par exemple, les créateurs de haute joaillerie n’ont pas à se soucier de la reproductibilité : ils partent uniquement des pierres précieuses disponibles, s’en inspirent et créent chaque bijou autour des pierres. En règle générale, ils travaillent pendant des mois sur une création, parfois même pendant plus d’un an. En même temps, ces bijoux ne sont pas des créations sur mesure. Dans ce dernier cas, les clients apportent souvent des souhaits ou des pierres spécifiques; ces bijoux ne sont issus que de notre propre imagination. Cela fait d’eux l’expression ultime du style Cartier ».

Pierre Rainero aime faire la comparaison avec le langage : « Comme notre vocabulaire, les dessins évoluent avec le temps et chaque bijou est différent des créations précédentes, mais ce qui ne change pas, c’est la grammaire. L’invisibilité des éléments métalliques et des aspects techniques dans les bijoux afin que les pierres précieuses retiennent toute l’attention, les combinaisons de couleurs exceptionnelles, la perception de la fluidité et de la légèreté, les pièces complexes qui dégagent néanmoins quelque chose de naturel et de facile à porter: ce sont des principes sacrés pour nos créateurs, quel que soit le bijou qu’ils veulent créer. »
Parmi les points forts de la collection de cette année figurent d’impressionnants colliers. Nouchali, par exemple, est un nénuphar stylisé autour d’une rubellite de 10,61 carats, entouré de diamants, d’onyx et de perles de calcédoine. Les pierres précieuses des pétales ont été serties « en tremblant », afin que les composants bougent doucement et absorbent le plus de lumière possible. Autre technique typique de Cartier, l’effet de texture sur les Iwana et les Aspis d’eau, des colliers souples qui évoquent la peau reptilienne de l’iguane vert, ou un mythique serpent d’eau.
Les créations plus abstraites de la maison sont également présentes. Apatura, par exemple, un collier fait d’opales, de saphirs et de diamants, rappelle un papillon, avec un pendentif détachable qui peut également être porté comme une broche. Le Récif, lui, joue avec les émeraudes, les améthystes, les diamants, les perles nervurées et les contrastes de volumes et de couleurs pour évoquer un récif corallien.

Le thème de Beautés du Monde n’a pas été choisi par hasard, souligne le directeur de l’image et du patrimoine de la prestigieuse maison : « Chaque année, nous recherchons un thème qui reflète également notre approche créative, et cette collection en souligne un aspect essentiel : rechercher la beauté et l’inspiration dans tous les endroits possibles, dans toutes les manifestations possibles. C’est vraiment dans l’ADN de Cartier ».
Les livres d’histoire ne lui donnent pas tort. Les petits-fils du fondateur Louis-François Cartier, en particulier, avaient une passion débridée pour les terres et les cultures lointaines. Louis Cartier, qui a renforcé l’entreprise familiale peu après le début du siècle, a conservé d’innombrables collections, un patrimoine dont il a constamment inspiré les créateurs de la maison : miniatures et tapis persans, mais aussi laques et imprimés d’Extrême-Orient et art décoratif islamique. Aujourd’hui encore, les départements créatifs puisent régulièrement dans sa bibliothèque remplie de livres sur d’autres cultures, explique Pierre Rainero.

D’autant que Louis et ses frères Pierre et Jacques était eux-mêmes de fervents globe-trotters. Avant la Première Guerre mondiale, ils ont effectué de longs voyages en Russie, au Moyen-Orient, en Chine, au Japon et en Inde, parfois avec leurs collaborateurs. Par la suite, les éléments emblématiques de l’architecture et des arts décoratifs locaux ont toujours trouvé leur place dans les croquis et les ateliers de Cartier à Paris, explique Pierre Rainero. Des motifs géométriques typiques du monde arabe sont ainsi apparus dans les bijoux, ainsi que des combinaisons de couleurs inspirées des traditions de la joaillerie indienne, ensuite connus sous le nom de « tutti frutti ». Jeanne Toussaint de son coté, directrice artistique de la Haute Joaillerie de 1933 à 1970, s’est largement inspirée de ses voyages au Kenya et de ses safaris dans ce pays.
“J’aime décrire cette maison comme un pont entre les cultures », déclare Pierre Rainero. “Au début du vingtième siècle, les clients asiatiques et internationaux de Cartier voulaient des bijoux et d’autres objets ayant un caractère explicitement occidental. Mais grâce aux frères Cartier, notre histoire est celle d’une fertilisation croisée. Pour les départements créatifs, les contacts intensifs avec d’autres pays dès le début ont été une source inépuisable d’inspiration et d’étude ».
Pierre Rainero fait référence à l’exposition organisée au Musée des Arts Décoratifs de Paris l’hiver dernier, sur l’influence durable de l’art islamique sur les créations de Cartier. “Dans le contexte actuel, c’est un sujet assez difficile. À moins que vous ne puissiez démontrer que ces sources d’inspiration ne sont pas un gadget éphémère ou une opportunité commerciale, mais qu’elles découlent d’une passion et d’une admiration sincères pour les autres cultures et la beauté en général. Comprendre d’autres cultures et traditions demande beaucoup d’énergie et de temps à nos designers, mais pour nous, c’est la seule voie à suivre. ”
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