Richard Arzt
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Dans le monde des dirigeants de grands pays, il est d’usage de féliciter un nouveau président des États-Unis. C’est ce qui est arrivé pour Joe Biden. Dès que sa victoire a été connue le 7 novembre, des messages de sympathie lui sont parvenus de très nombreux pays. Mais pas de Chine. Simplement, à Pékin, le 9 novembre, un des porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a déclaré: «Nous avons relevé que M. Biden s’est déclaré vainqueur, nous comprenons que le résultat de l’élection présidentielle américaine sera déterminé selon les lois et procédures américaines.»
Il y a, à l’évidence, une pointe d’ironie dans cette déclaration. En ne s’empressant pas de reconnaître la victoire de Joe Biden, la Chine sous-entend qu’elle a du mal à comprendre le système démocratique américain. Le régime chinois s’est en tout cas tenu à distance de la campagne électorale aux États-Unis.
Et le 13 novembre, une semaine après les résultats de l’élection américaine, le même porte-parole du ministère chinois, interrogé au cours d’un point de presse par un journaliste américain, a simplement et sobrement indiqué: «Nous respectons le choix du peuple américain. Nous adressons nos félicitations à M. Biden et à la vice-présidente Kamala Harris.» C’est tout.
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Il est arrivé par le passé que les médias chinois consacrent leurs grands titres à une élection présidentielle américaine. C’était nettement moins le cas cette année. Les journaux télévisés et la presse écrite s’intéressent ces jours-ci plutôt à la nouvelle version de téléphone portable que la firme Huawei vient de sortir. Ou à la traditionnelle Fête des célibataires (le Single day) qui a lieu le 11 novembre et qui est sans doute –par le nombre d’achats effectués dans le pays– la plus grande journée de soldes au monde. Le chiffre «1» évoque le célibat, et sa succession dans la date a donné son nom à cet évènement: 11/11.
Il est quand même arrivé, ces derniers temps, qu’à 19h le journal de la CCTV, la première chaîne de télévision publique chinoise, parle de la situation aux États-Unis. Mais c’était pour montrer des images d’émeutes devant la Maison-Blanche ou pour présenter les chiffres de décès provoqués par le Covid-19. Ce qui n’est évidemment pas fait pour mettre les États-Unis en valeur. En même temps, des dizaines de millions de Chinois ont suivi l’actualité présidentielle américaine sur les réseaux sociaux comme Sina.com ou Weibo. Sans qu’il soit possible de mesurer ce qui l’emporte entre le rejet et l’attirance que peuvent éprouver ces internautes à l’égard de l’Amérique.
La Chine, par ailleurs, ne manque pas d’observateurs de la vie politique américaine. L’économiste Ding Yifan, chercheur au centre de développement du Conseil des affaires d’État, a participé à de nombreuses missions d’études à Washington. Il estime que «les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette élection soulignent les faiblesses du système américain». Un point de vue qu’il détaille dans le domaine de la santé: «Aux États-Unis, toutes les décisions pour lutter contre le Covid-19 sont truffées de calculs politiques. Dans les États, les gouverneurs pensent d’abord, selon leur couleur politique, à ce que leur décision peut leur rapporter. Ce sont de petits calculs politiques.»

Quelques Unes des journaux chinois mentionnant la victoire de Joe Biden, dans les rues de Pékin, le 9 novembre 2020. | Noel Celis / AFP
Très officiellement, les dirigeants chinois ont pris leurs distances à l’égard du scrutin américain. Le 31 octobre, le vice-ministre des Affaires étrangères Qin Gang l’a exprimé lors d’une rencontre avec quelques journalistes occidentaux: «L’avenir de la Chine ne dépend pas de l’élection américaine», dit-il. Ajoutant: «Nous nous moquons de savoir qui est à la Maison-Blanche. Ce que nous voulons, c’est une relation calme et meilleure avec les États-Unis.»
Ce qui semble sous-entendre que Pékin attend de voir sans trop d’illusion quel sera le comportement de Joe Biden à l’égard de la Chine. Même le fait que Xi Jinping et Joe Biden se connaissent n’est pas abordé par la presse chinoise. Ils se sont rencontrés à plusieurs reprises pendant le premier mandat de la présidence Obama, alors que Joe Biden, vice-président américain, était chargé des relations avec la Chine.

Le président chinois Xi Jinping (à droite) avec le vice-président américain Joe Biden, à Pékin le 4 décembre 2013. | Lintao Zhang / Pool/ AFP
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Pékin constate que Donald Trump a multiplié les droits de douane sur les quelque 370 milliards de dollars de produits chinois que les États-Unis importent chaque année. Est-ce que Joe Biden pourrait mette fin à cette façon de faire?
À Paris, François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, expliquait le 5 novembre dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace que l’opposition par rapport à la Chine est «probablement l’élément de continuité le plus important entre Biden et Trump, soutenu par un consensus très large aux États-Unis, et par les politiques républicains comme démocrates».
Les dirigeants chinois partagent probablement cette analyse. De plus, ils se méfient des présidents américains démocrates qui sont toujours très critiques sur la situation des droits de l’homme en Chine. Joe Biden, au cours de sa campagne, a notamment annoncé que, s’il était élu, il rencontrerait le dalaï-lama, le chef spirituel des Tibétains que Pékin considère comme «un dangereux séparatiste».
I’d like to offer my hearty congratulations to Joe Biden on his election as the next President of the United States of America. Humanity places great hope in the democratic vision of the U.S. as leader of the free world. https://t.co/axL0ko3ff8
Le Parti communiste chinois est convaincu que les États-Unis sont essentiellement préoccupés de bloquer le développement de la Chine car ils ne tolèrent pas la perspective que la seconde économie au monde puisse passer devant celle des États-Unis.
Aussi, pour se renforcer face à des obstacles américains probables, la Chine est en train de s’organiser. Elle redéfinit minutieusement ses priorités afin notamment d’être moins dépendante de ses exportations et de mieux cerner les possibilités de son marché intérieur. Tout cela a été détaillé lors de la session du Comité central du Parti qui s’est tenue à Pékin du 26 au 28 octobre.
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Comme chaque année, cette réunion s’est déroulée dans une salle du Palais du Peuple, sur la face ouest de la place Tian’anmen. Avec Xi Jinping à la tribune, entouré par les hauts dirigeants du Parti communiste. Et derrière eux, un décor où en couleur dorée dominent la faucille et le marteau, l’emblème communiste traditionnel. Dans la salle, sont assis les 198 membres de ce Comité central et leurs 166 suppléants, ainsi que les membres de la Commission de contrôle de la discipline du Parti, des responsables de ministères et quelques universitaires. Au total, ils sont près de 400 à participer à cette réunion au sommet. Tous sont bien entendu membres du Parti communiste. Et les séances se déroulent pendant trois jours à huis clos, sauf les quelques moments où les télévisions et les photographes peuvent prendre des images.
Le Comité central du Parti communiste en Chine est la réplique de l’institution qui existait sous le même nom en Union soviétique. C’est là que sont examinées et votées, quasiment toujours à l’unanimité, les principales orientations de l’activité du Parti et du gouvernement pour l’année suivante.
Mais en 2020, comme tous les cinq ans, le plan quinquennal était à l’ordre du jour. Les dirigeants ont présenté les grands axes du 14e plan qui fixe les priorités de l’économie chinoise pour la période 2021-2025. Elles seront définitivement adoptées, en mars prochain, lors de la réunion de l’Assemblée nationale populaire.
Le communiqué publié le 29 octobre, au sortir de la réunion du Comité central, indique que l’objectif de la Chine est désormais d’aller vers un «nouveau modèle de développement économique» davantage axé sur la consommation des ménages. La Chine va donc cesser de fonder la croissance de son économie sur l’exportation de produits bon marché «made in China».
Le communiqué estime que «l’environnement international devient de plus en plus complexe, avec une instabilité croissante». Dès lors, se replier sur le marché intérieur chinois relève pour Pékin d’une adaptation au monde actuel: la rivalité sino-américaine a pris une ampleur considérable et les dirigeants chinois se méfient désormais des relations avec les Américains. Par ailleurs, l’épidémie de Covid-19 ne permet plus à la Chine de profiter du commerce international autant qu’elle a pu le faire pendant deux décennies.
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Dans ces conditions, les dirigeants chinois font savoir que le pays doit s’appuyer sur «l’innovation» pour atteindre une «autonomie technologique». Et il est devenu prioritaire d’amener les géants de l’industrie chinoise à gagner en indépendance. Cela, afin de bâtir d’ici 2035, un «pays socialiste moderne» dans lequel «le produit intérieur brut par habitant atteindra le niveau des pays moyennement développés».
Le Comité central précise une autre préoccupation chinoise: accélérer la transition écologique. La Chine a adhéré aux accords sur la préservation du climat signés lors de la Conférence de Paris en 2016. En septembre dernier, le président Xi Jinping a affirmé que le pays visait à atteindre la neutralité carbone d’ici 2060. Le communiqué du Comité central ne donne pas de précisions sur les étapes que la Chine –premier pollueur de la planète en même temps que plus gros investisseur dans les énergies renouvelables– empruntera pour parvenir à ce résultat.
L’administration Trump a récemment officialisé son retrait de la Conférence sur le climat. En revanche, Joe Biden a annoncé qu’il réintégrera ce processus. Ce qui, au moins, ouvre la voie à un point d’entente sino-américain.
Dans tout cela, il n’est nullement question de la succession de Xi Jinping. En 1991, Deng Xiaoping, l’homme fort de l’après-maoïsme, avait établi une règle: les dirigeants chinois ne devaient pas rester plus de dix ans au pouvoir. Et effectivement, à partir de 1992, Jiang Zemin, puis Hu Jintao ont effectué chacun deux mandats de cinq ans.
Xi Jinping, nommé en 2012, aura accompli ses deux mandats lors du congrès du Parti en 2022. En 2017, lors du dernier congrès, son successeur aurait dû apparaître parmi les sept membres du Comité permanent du bureau politique, l’organe suprême du pouvoir en Chine. Au lieu de quoi, une discrète disposition –qui n’a été révélée qu’en 2018– a établi que Xi Jinping pouvait rester en fonction à vie. Le plénum s’est contenté de confirmer que le président chinois se dirigeait vers un troisième mandat.
À la différence des États-Unis, la vie politique chinoise, hermétique au monde extérieur, n’est guère tournée vers l’opinion publique. Le Parti communiste chinois a cependant fait un geste d’ouverture cette année. Pendant deux semaines en août, les internautes chinois –et pas seulement les membres du Parti– ont été invités à «offrir des conseils et des suggestions sur l’élaboration du plan». Notamment sur des thèmes tels que l’évolution du système de santé, les réformes de l’éducation ou la protection de l’environnement. Cette possibilité nouvelle était présentée comme un élément de «démocratie socialiste à caractéristique chinoise». Selon le Quotidien du Peuple, les internautes ont donné «plus d’un million d’avis». Le journal admet que c’est peu à l’échelle de la population chinoise.
C’est manifestement beaucoup plus dans les cercles du pouvoir qu’une réflexion se développe en Chine sur les évolutions dans le monde. La récente élection américaine amène nombre d’experts chinois à estimer que les États-Unis sont affaiblis. Notamment par le comportement de Donald Trump qui ne reconnaît pas sa défaite.
Ding Yifan représente sans doute une pensée largement répandue parmi les dirigeants chinois quand il dit: «Finalement, les États-Unis apparaissent comme une première puissance instable et imprévisible. Ils sont incapables aujourd’hui de tenir leur rôle de leadership mondial. En comparaison, la Chine, elle, est stable et son avenir est prévisible. Le récent Comité central du Parti communiste a montré la voie du développement de la Chine pour les cinq ans à venir et fixé les perspectives pour au-delà. Il y a en Chine une stabilité et une prévisibilité politiques et sociales.»
En 2001, les États-Unis étaient parmi les pays les plus favorables à l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’idée était que cette adhésion au fonctionnement des échanges commerciaux internationaux favoriserait le libéralisme économique en Chine et amènerait forcément une évolution démocratique en Chine. Ce n’est pas ce qui s’est passé. La Chine vise surtout aujourd’hui à récupérer la place de première civilisation au monde qu’elle estime avoir eue pendant les siècles passés.
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