Moisés Naím — Traduit par Micha Cziffra
Temps de lecture: 4 min
Les experts internationaux en matière de sécurité dressent régulièrement la liste des pays, villes et régions du monde qui présentent les plus grands dangers. Les critères pour y figurer ne se limitent pas aux risques que courent les habitant·es de ces territoires; il doit s’agir de lieux dont la dangerosité impacte le voisinage, voire des pays d’autres continents. On y trouve, par exemple, le Cachemire, ce territoire frontalier revendiqué par l’Inde, le Pakistan ainsi que la Chine et qui a été à l’origine de conflits armés. Il y figure toujours en bonne place, côtoyant l’Inde et le Pakistan, deux pays dotés de l’arme nucléaire qui aggravent le risque d’un affrontement armé d’ampleur modérée pouvant se transformer en menace sérieuse pour la paix dans le monde.
La Syrie illustre également ce phénomène de conflits locaux qui, gagnant en intensité, finissent par avoir des répercussions dans toute une région et au-delà. Ce mois-ci, nous assistons au feuilleton dans lequel la Turquie profite du contexte international pour conquérir de nouveaux territoires, modifier les frontières et placer les Kurdes sous son joug. La péninsule arabique, le golfe Persique, les pays du Nord-Caucase et la péninsule coréenne sont autant de régions où les conflits locaux ou entre deux nations risquent de s’internationaliser.
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Mais cette liste mérite d’être mise à jour. Aujourd’hui, l’épicentre des menaces sur la stabilité mondiale est… Washington. Et en particulier la Maison-Blanche. Son hôte actuel, qu’on nous a présenté comme un maître dans l’art de la négociation et un éternel winner n’a fait en réalité que perdre et se laisser manipuler par les plus infâmes dictateurs contemporains. Son nouvel ami, le sanguinaire dictateur nord-coréen, a fait croire au président des États-Unis qu’il était prêt à démanteler son arsenal nucléaire à condition que Washington lève les sanctions prises contre la Corée du Nord. Pendant ce temps, Kim Jong-un a poursuivi ses essais de bombes nucléaires et de missiles à longue portée qui les transportent. Quant à l’autocrate turc, Recep Tayyip Erdoğan, il a persuadé Trump de retirer les troupes américaines de Syrie ainsi que de laisser les forces turques envahir le nord de ce pays et «neutraliser» les milices kurdes.
Qu’importe le rôle décisif qu’ont joué les Kurdes dans la lutte acharnée contre l’organisation État islamique! Cette concession à son ami turc coûte cher à Donald Trump aussi bien sur le plan intérieur qu’international. Finalement, avoir permis à Erdoğan de mettre en œuvre ses visées belliqueuses a produit une situation qui était jusque-là impossible: que les Républicains siégeant au Congrès votent massivement de concert avec les députés démocrates pour critiquer la décision de Trump.
Par ailleurs, ces derniers temps, le président Trump se sent manifestement plus proche de son autre grand ami, Vladimir Poutine, que du Congrès de son pays. La dernière preuve en date est sa décision d’opposer son veto à une proposition de résolution de l’Union européenne visant à condamner la Turquie pour son invasion de la Syrie. Il va sans dire que l’autre veto est venu de la Russie de Poutine.
Sur un grand nombre de dossiers, les résultats de Trump laissent à désirer: guerre commerciale à la Chine; retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien; traitement de la crise entre l’Arabie saoudite et ses voisins; négociations avec les talibans, relations avec ses alliés européens et, bien entendu, tentative de mettre la politique étrangère des États-Unis au service de ses intérêts personnels, tant électoraux qu’économiques.
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Le déclin des États-Unis, du point de vue de leur pouvoir et de leur rayonnement dans le monde, causé par l’action de Trump restera essentiellement dans l’histoire comme l’un des sabordages géopolitiques les plus dévastateurs. Mais, malgré la grave instabilité internationale que le président américain a contribué à créer, le plus grand danger qui provient aujourd’hui de la Maison-Blanche a une portée essentiellement «domestique».
Avec une audace et une agressivité croissantes, le président Trump met à l’épreuve la Constitution ainsi que les règles sur lesquelles se fonde la démocratie américaine. Trump a défié le Congrès, privant les député·es de leur droit constitutionnel d’ordonner le témoignage de fonctionnaires ou de citoyen·nes disposant d’informations pertinentes, ou d’obtenir des documents de leur part. Les sorties grotesques du président contre ses opposant·es politiques ou des personnes qui avaient travaillé avec lui et ont fini par le quitter, sans parler de celles concernant les médias et les journalistes se font de plus en plus fréquentes… Loin d’être de simples excès verbaux d’un histrion politicien, elles reflètent un dangereux comportement antidémocratique.
Il y a deux siècles déjà, un jeune responsable politique américain soulignait les menaces pesant sur les démocraties. Du haut de ses 28 ans, Abraham Lincoln expliqua en 1838 que pour les contrecarrer, la démocratie de son pays devait se nourrir d’une «religion politique» imposant à la fois le respect des lois et l’incontournable recours à la «raison, froide, dénuée de passion».
On voit bien que, souvent, Donald Trump fait fi des lois ou des informations incontestables. Les États-Unis ne pourront plus compter désormais que sur leurs institutions et leurs dirigeant·es pour préserver la démocratie. Et autant dire que les enjeux sont immenses: une démocratie américaine forte profite non seulement à ce pays, mais également au reste du monde. C’est en ce sens que les tentatives de saper la démocratie qui ont lieu aujourd’hui à Washington font de cette ville l’endroit le plus dangereux de la planète.

Moisés Naím
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