Dans un communiqué publié ce 19 juillet, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pointe du doigt la multiplication des caméras de vidéosurveillance intelligentes, capables de compter le nombre de personnes dans un lieu, d’analyser ce qu’elles portent, mais surtout de détecter des comportements suspects ou anormaux.
En Chine, tous les citoyens sont surveillés par des caméras, tracés par des applications sur leurs téléphones portables, et gagnent ou perdent des points en fonction de ce qu’ils font de bien ou mal : c’est le crédit social.
Si cette réalité hallucinante n’existe pas en France, loin de là, la CNIL, commission indépendante en charge de la protection des données personnelles, est régulièrement saisie en matière de caméras de vidéosurveillance dites augmentées ou intelligentes, de plus en plus nombreuses, au point qu’elle a organisé une consultation public.
A l’issue de cette consultation, elle a rendu son avis dans un communiqué publié le 19 juillet dernier sur Internet, comme le montre le tweet ci-dessous.
La CNIL explique d’abord qu’il ne s’agit pas de reconnaissance faciale (interdite), mais des usages liés à ces caméras. Elle “sont constituées de logiciels de traitements automatisés d’images couplés à des caméras, […] permettent par exemple de compter automatiquement le nombre de personnes dans un lieu, d’analyser certaines de leurs caractéristiques (habits, port d’un masque, etc.), ou encore de repérer certains comportements“.
C’est sur ce dernier point que la CNIL tire la sonnette d’alarme : “Les dispositifs qui sont visés ici ont pour objet de permettre aux services de police et de gendarmerie de détecter des comportements considérés comme « suspects » (attroupements ou mouvements rapides d’individus, présence « anormalement » longue d’une personne dans un lieu, etc.) car ils laisseraient présumer une infraction passée ou imminente.
Or, la Commission estime que la prévention et la répression des infractions par des caméras augmentées est interdite : “La loi française n’autorise pas l’usage, par la puissance publique, des caméras « augmentées » pour la détection et [la] poursuite d’infractions” et qu’il faudrait une “loi spécifique“, “si [leur] efficacité était prouvée et leur utilisation nécessaire“.
Au-delà de la réglementation, elle appelle les pouvoirs publics à veiller à ce que leur utilisation “soit limitée aux cas les plus légitimes, afin d’éviter une multiplication disproportionnée de ces dispositifs”, qui pourrait entraîner “un risque de surveillance et d’analyse généralisée dans l’espace public“, susceptible de modifier nos comportements dans la rue.
En région Centre-Val de Loire, des communes comme Chartres ou Montargis utilisent ce qu’ils appellent respectivement l’intelligence artificielle et des outils ultra-modernes. Mais respectent-elles la loi ?
Dans un article de La République du Centre du 4 mars dernier, le dispositif de vidéosurveillance de Montargis est présenté par le menu. Il est notamment indiqué que “l’œil des caméras est en effet en mesure de repérer les incivilités et petites infractions, telles que des automobilistes empruntant une voie à contresens, et de donner l’alerte en temps réel”.
“Avec ce système, ces anomalies sont repérées par les caméras et une patrouille peut être sollicitée”, précisait alors le maire de Montargis, Benoît Digeon. Est donné aussi l’exemple de signaux de couleur qui apparaissent sur l’écran du centre de surveillance lorsqu’une caméra détecte une situation inhabituelle, comme un attroupement d’adolescents autour d’une altercation. L’exemple donné dans le journal – l’attroupement – est l’un de ceux étrillés par la CNIL. Cependant, s’il y a détection d’un phénomène anormal, il n’y a pas poursuite d’infraction comme avec la vidéo-verbalisation, car des agents sont dépêchés sur place et ramènent simplement le calme.
Contacté par téléphone, Benoît Digeon, le maire de Montargis se défend de tout usage illégal : “Je ne déments pas [ce qui est écrit dans l’article]. Mais si on avait des choses qui n’étaient pas conformes, on ne les aurait pas installées.”
Tout ce qu’on a installé fait l’objet d’une demande en préfecture et d’un agrément de la préfecture, il n’y a aucun problème.

Il précise que ces caméras servent avant tout à remonter la trace de véhicules ou d’individus : “On peut filmer des plaques de voiture, et retrouver l’historique de la circulation d’une plaque de voiture. Pour une personne qui a commis un délit, on pourra voir d’où elle vient, quel est son chemin, si elle habite en centre-ville, si elle est venue en voiture ou à pied… C’est simplement retrouver cette personne dans sa déambulation dans la ville“, conclut-il.
A Chartres, un article de L’Echo Républicain du 3 mai dernier évoque, lui, les caméras de vidéosurveillance de l’agglomération, mais sans rentrer dans le détail.
L’intelligence artificielle permet de détecter des comportements anormaux d’un véhicule ou d’une personne. C’est une aide à l’opérateur qui peut prévenir la police ou la gendarmerie lorsqu’il détecte une anomalie. Nous serons alors très réactifs face à la délinquance“, déclarait Richard Lizurey, adjoint au maire de Chartres en charge de la sécurité et de la tranquillité publique.
Là encore, l’élu évoque la possibilité de détecter les “comportements anormaux” grâce aux caméras, usage pourtant remis en cause par la CNIL. Contactée ce lundi après-midi, la mairie de Chartres n’a pas encore répondu à notre demande d’interview.
Un autre exemple, quelque peu différent, existe aussi à Orléans. Cette fois, il n’est pas question d’image mais de son. Fin 2021, la commune avait décidé de lancer l’expérimentation en couplant un logiciel de détecteur de sons aux caméras de vidéosurveillance de la ville. En clair, quand un son anormal se produit, comme des cris de détresse ou une détonation, cela déclenche une alerte au centre de sécurité. L’opérateur peut visualiser ce qu’il s’est passé et envoyer si nécessaire une équipe.
Florent Montillot, l’adjoint au maire d’Orléans chargé de la sécurité, n’était pas disponible pour nous répondre car en congés. Il a cependant tenu à dire que la ville d’Orléans n’était pas concernée, en partie parce qu’il s’agit d’un dispositif électronique et non informatique, et qu’il n’y avait eu par ailleurs aucun avis négatif.
Dans cet article de France Bleu Orléans où un collectif s’opposait à l’expérimentation, il se défendait déjà de toute infraction de la loi en assurant qu’il n’y aurait pas d’enregistrement de voix ou de son, considérées comme des données personnelles.
Nous avons justement veillé à ne récupérer que des métadonnées, c’est-à-dire les fréquences émises par les sons qui seront considérés comme suspects, pour répondre aux préconisations de la Cnil“, expliquait-il à nos confrères de la radio. Il avait également précisé que l’agent au centre de contrôle reçoit une alerte mais en aucun cas n’entend de voix ou de bruit , garantissant ainsi le respect de la vie privée.
Malgré ces éléments, La Quadrature Du Net, association de défense des droits et libertés sur Internet, avait déposé un recours non seulement devant la CNIL mais aussi devant le tribunal administratif contre la ville d’Orléans, le 12 décembre dernier. Pour justifier sa démarche, elle s’appuyait sur un avis de la CNIL qui avait déclaré illégale une expérience à Saint-Etienne, où des micros étaient placés dans les rues pour détecter des bruits anormaux et alerter les forces de l’ordre.

La CNIL a réagi en janvier dernier en lançant une procédure comme le montre le tweet ci-dessus. Les recours seraient toujours en cours d’instruction.
Quels que soient les dispositifs, la CNIL veut fixer une ligne rouge : celle de “ne jamais utiliser ces caméras à des fins de «notation » des personnes“… Comme c’est le cas avec le crédit social chinois.

source

Catégorisé: