>
>
>
Marc-Aurèle Garreau

21 juillet 2022
En relation
Bande-annonce
Séances
Avec “As bestas”, Rodrigo Sorogoyen réalise un grand thriller, où Denis Ménochet et Marina Foïs incarnent un couple de français partis s’installer dans la campagne galicienne, en Espagne. À la fois western contemporain et chronique sociale, on a rencontré le cinéaste espagnol pour en savoir plus.
À 40 ans, avec six longs-métrages au compteur, le réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen fait déjà partie des grands cinéastes européens de notre époque. Après les films El reino et Madre, ainsi que la série Antidisturbios, trois productions très remarquées, son nouveau thriller As bestas est dans les salles de cinéma depuis le 20 juillet 2022.
As bestas raconte, avec un ton de western néo-noir, l’installation de deux français, Olga et Antoine, comme cultivateurs dans la campagne galicienne. Là, ils se heurtent à l’hostilité grandissante des locaux. Le couple, incarné par Denis Ménochet et Marina Foïs, en plus d’être victimes d’une xénophobie “ordinaire”, prend par ailleurs des risques en s’opposant à l’installation de nouvelles éoliennes sur les terres du village… La tension va monter subtilement, jusqu’à l’explosion.
Rodrigo Sorogoyen : Avant Jusqu’à la garde, un film incroyable, Denis Ménochet était déjà dans mon radar. Pour As bestas, je n’y ai pas pensé tout de suite, parce qu’il était trop jeune. Dans le film, Antoine est grand-père. Donc ça m’était difficile de l’imaginer dans le rôle. Mais tous mes amis me disaient : “Tu dois le prendre, il est génial !“. Je répondais : “Oui, il est génial, mais il est pas dans le bon âge.”
Finalement, on l’a choisi, parce qu’il a cette présence, cette brutalité, cette force… Le titre c’est As bestas, donc c’est littéral sur ce point, mais il a aussi cette fragilité, une sensibilité qu’on devine dans ses yeux, de la tendresse, des choses que je recherchais absolument.
Pour Marina Foïs, tout part de Polisse de Maïwenn, un film que j’adore, qui m’a rendu dingue. Quand j’ai commencé à réfléchir au personnage d’Olga, je me suis souvenu de cette femme dans Polisse, petite, avec le visage très dur – je ne me souvenais pas de son nom -, et une force incroyable. On s’est rencontrés, on a parlé de cinéma, j’ai vu qu’elle était très intelligente, donc ça s’est fait facilement.
C’est intéressant, parce qu’en parlant avec les journalistes je me rends compte de certaines choses seulement maintenant. J’apprends beaucoup (rires) ! As bestas parle de plusieurs choses. C’est une histoire d’amour. Mais c’est aussi un film sur la xénophobie, sur l’écologie, sur l’immigration. Et c’est vrai que tout ça tend vers le concept de frontière, et de ce qu’on en fait au cinéma. Je suis totalement d’accord avec ça.
La France et l’Espagne ont une frontière naturelle, ce sont deux pays frères avec des sensibilités proches. Il y a une fraternité, mais avec des différences, des rapports curieux, intenses, délicats parfois. Le choix de prendre des personnages français, c’est bon pour le conflit au coeur du film, et le traitement du sentiment d’infériorité qu’il peut y avoir en Espagne et celui de supériorité qu’il peut y avoir en France.
Parfois, la France regarde de haut, et l’Espagne d’en bas. C’était donc très pratique pour l’histoire d’As bestas.
Il y a une dénonciation dans le film. Il y a une fibre sociale. Il y a toujours eu cette fibre dans mes films, mais c’est seulement après El Reino que j’en ai pris conscience et que j’ai décidé de ne faire plus que des films politiques. Dans des genres différents. El Reino est un film politique d’un certain genre, As bestas en est un autre. Peut-être que ça m’est venu tout seul, au début, mais maintenant c’est une règle consciente.
Isabel Peña (sa co-scénariste, ndlr) et moi sommes des urbains. De purs madrilènes, on y habite, et même si la ville me fatigue, j’y habite. Pour faire un film, il faut faire des recherches, des enquêtes, rentrer dans un monde qu’on ne connaît pas. Pour As bestas, c’est le monde de la campagne et de la montagne. Par exemple, on a écouté, on a appris, on a compris certaines choses sur l’éolien. Ce qu’on en savait, c’est que c’était génial, et que ce n’était que quelques “moulins” dans le paysage. Mais depuis 2010-2015 , il y en a eu une exploitation incroyable, pour moi horrible, un exemple de capitalisme totalement sauvage, sans aucun souci ni amour de la terre. On s’est dit que cet élément devait absolument apparaître.
Je ne me définis pas comme un activiste, mais quand on entre en contact avec un sujet dont on ressent qu’il faut parler, et qui vient nourrir le drame du film, c’est idéal.
Il y a évidemment Les Chiens de paille, une référence qui est arrivée très tôt dans la conversation. D’habitude, on revient à des films qu’on connaît, mais uniquement en début de développement. Avec Isabel, on s’est vite dit “ah ce serait comme si dans Les Chiens de paille le personnage de Dustin Hoffman…“, et pour moi c’était une idée géniale. Mais je préfère éviter au maximum de penser activement à d’autres films.
Certaines références sont déjà là, dans la tête, on ne peut pas y échapper. Mais si on y pense trop, et si on s’autorise une référence délibérée, je crois que ça peut devenir une copie, et ça j’en ai très peur. Je préfère en rester à l’inconscient, et essayer d’être le plus original possible.
Pour moi, le scénario est quasi sacré. Il faut cependant être ouvert, un film doit être vivant et peut occasionner des changements. Au montage, c’est le moment où tout peut changer, où on peut presque faire ce qu’on veut. Mais je suis très respectueux du travail effectué avec Isabel. J’adore les scénarios qu’on écrit,  et je peux changer des choses, mais la plupart de ce qui est écrit fonctionne du premier coup, et on le voit à l’écran comme c’était écrit.
Pendant le tournage, je peux changer des petites choses, quelques lignes, des mises en scènes qui en fait ne fonctionnent pas. Mais c’est la preuve qu’on a beaucoup travaillé avant, et que le scénario le permet. Au montage, je voudrais me tenir strictement au scénario, mais ça n’arrive quasiment jamais. Pour As bestas, ça a été très dur, j’ai vraiment eu beaucoup de mal, jusqu’au moment où on a “trouvé” le film.
C’est une scène que je pense être évidente. C’est comme un manifeste. C’est une scène-clé, où on comprend tout le film. À l’origine, au scénario, Olga venait demander de l’aide pour les recherches, et c’était une scène assez violente. Mais on s’est rendus compte que cette femme n’est pas violente, que ce sont les hommes qui le sont. Donc on a trouvé cette idée d’une proposition d’aide, une démarche pacifique. Elle dit : “Moi, je suis là pour t’aider”. Et c’est bien de finir comme ça.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Voir aussi
Madame Doubtfire : Robin Williams se promenait dans les rues habillé dans le costume de son personnage
En 1994, Chris Columbus met en scène sa comédie la plus décalée et inattendue. Porté par Robin Williams, « Madame Doubtfire » devient rapidement un immense classique de la comédie américaine. Mais saviez-vous que, pendant le tournage du film, Robin Williams se promenait parfois en pleine ville déguisé dans la peau de son personnage ?

source

Catégorisé: