Collaboratrice
François Desagnat aime tellement la bande dessinée Zaï Zaï Z Zaï (2015), de Fabcaro — un immense succès de librairie en France —, qu’il en garde toujours un ou deux exemplaires dans sa bibliothèque pour les offrir à ses amis. Il a mis du temps, toutefois, à trouver la confiance nécessaire pour oser l’adapter au cinéma.
« Je voyais le potentiel cinématographique, sans jamais avoir l’impulsion de prendre ma bédé sous le bras et d’aller faire le tour des maisons de production, raconte-t-il, rencontré dans l’auberge où il loge lors de son passage Montréal, à quelques pas du parc La Fontaine. La montagne me semblait impossible à gravir, en fait. »
Il a fallu, lors d’un souper à la maison, qu’il offre l’album à son ami, le producteur Thibaut Gast, pour que jaillisse finalement l’étincelle. « Il m’a appelé le lendemain, en me disant qu’il fallait absolument qu’on en fasse un film. Son impulsion m’a donné confiance, et on s’est lancés. »
Le défi était de taille. D’abord, parce que le roman graphique est un succès monstre en France, et que ses admirateurs attendraient certainement la production avec une brique et un fanal. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une satire, dont l’humour absurde et décalé s’éloigne des frontières du réel, et s’avère donc extrêmement difficile à transposer à l’écran.
Cet humour particulier, qui raconte quelque chose sur le monde d’aujourd’hui, c’est quelque chose qu’on n’exploite plus tellement au cinéma, du moins en France
L’histoire originale met en scène Fabrice, un bédéiste, qui, n’ayant pu présenter sa carte de fidélité au supermarché, est contraint de prendre la fuite après une altercation avec un vigile. Poursuivi par la police, le fugitif traverse la région, à la course et en voiture, partagé entre remords et questionnements existentiels. À travers les réactions des différentes communautés du pays, l’auteur de bédé Fabcaro parvient à brosser un portrait juste et désopilant de la société française contemporaine.
« Cet humour particulier, qui raconte quelque chose sur le monde d’aujourd’hui, c’est quelque chose qu’on n’exploite plus tellement au cinéma, du moins en France. Certains cinéastes, comme Quentin Dupieux ou Jean-Christophe Meurisse, le font très bien, mais touchent un public assez restreint. J’ai toujours l’impression d’être prétentieux en disant ça, mais j’avais envie d’amener cette culture de l’absurde vers quelque chose de plus large, de plus populaire. L’oeuvre de Fabcaro me semblait un véhicule idéal », affirme le réalisateur.
La réception du film en France a été mitigée ; certains célébrant l’audace et la justesse de ton, d’autres décriant la lecture particulière que fait François Desagnat de l’oeuvre. « Avec son univers très épuré et la simplicité de son graphisme, la bédé en elle-même offre une multitude de possibilités. Chaque cinéaste qui choisit de s’engouffrer dans cet univers doit pratiquement tout inventer. Un journaliste m’a reproché de ne pas avoir compris le rythme de Fabcaro, qui est très rapide et percutant. Personnellement, j’y voyais plus une occasion de souligner la lenteur et le malaise. Bref, sur une proposition aussi particulière, il est impossible de plaire à tous. »
Le réalisateur est le premier à reconnaître qu’il a parfois été difficile de trouver le ton juste. À de nombreuses reprises, il a dû retourner à la table à dessin et se recentrer sur la vision, les forces et les intentions de l’oeuvre originale.
« L’absurde, c’est la liberté. Tout est possible. Le risque de perdre le spectateur en cours de route est énorme. La grande qualité de la bande dessinée, c’est qu’il y a toujours du sens caché derrière l’extravagance. C’était important pour nous de respecter ça. On a tout fait pour ne jamais tomber dans la gratuité, et pour conserver l’aspect critique de l’histoire. »
Le bédéiste Fabcaro a préféré ne pas s’impliquer outre mesure dans l’écriture du scénario. « Il a toutefois accepté de jeter un oeil à nos changements et propositions pour les valider. »
Étant donné la forme et la brièveté de l’oeuvre originale — où chaque page entraîne le lecteur dans un microcosme différent —, François Desagnat et son coscénariste, Jean-Luc Gaget, n’ont eu d’autre choix que de prendre quelques libertés et d’élargir la proposition originale.
Alors que le personnage principal était au départ bédéiste, il se retrouve plutôt acteur de comédie dans l’adaptation cinématographique. « Fabcaro racontait tout l’univers de la bande dessinée à travers cette mise en abyme. On a voulu faire le même exercice, et montrer comment un comédien est perçu par la société, comment ses collègues auraient réagi, etc. »
Les scénaristes ont également ajouté un peu de corps à l’histoire d’amour entre Fabrice (Jean-Paul Rouve) et sa femme, Fabienne (Julie Depardieu), inventant même un triangle amoureux complètement saugrenu avec l’acteur mandaté pour interpréter Fabrice dans le film adapté de sa cavale. « Je pense que ce choix aussi était nécessaire, pour créer un petit fil rouge qui unit toutes les histoires entre elles, et permet au spectateur de garder un lien émotionnel avec le personnage, de souhaiter une forme de résolution. »
Tout au long du processus d’écriture,le réalisateur avait un objectif en tête : demeurer fidèle à l’esprit de la bande dessinée, à son ton satirique, mais jamais moralisateur. « J’aimebien cette idée de ne pas cibler des gens, des comportements ou des courants politiques, mais plutôt les absurdités de la société dans son ensemble. À travers l’humour et la métaphore de la carte de fidélité, Fabcaro réussit à nous faire réfléchir à notre asservissement à la société de consommation. Il marche sur une fine ligne, de laquelle il ne dévie jamais. C’est ce que j’espère être parvenu à faire. »
François Desagnat ne s’est pas fait de cadeau en choisissant d’adapter Zaï Zaï Zaï Zaï, une bande dessinée rythmée et percutante, dont l’humour grotesque et les cabrioles narratives sont mesurés par un style épuré et précis, et une critique sociale intelligente et pertinente. Le cinéaste fait un véritable travail d’équilibriste en demeurant fidèle, autant que faire se peut, à l’oeuvre originale. Il ne peut toutefois éviter de perdre quelques plumes au passage, ce qui fonctionne sur papier ne se transposant pas toujours avec naturel sur grand écran. Ainsi, il parvient à brosser un portrait juste et hilarant de la France contemporaine et de ses extrêmes — du conformisme de la bourgeoisie au sensationnalisme médiatique, en passant par les dérives sécuritaires et le militantisme intellectuel. Cependant, en dépit de plusieurs très bons gags, son scénario pâtit par moments de la densité du propos et n’échappe pas aux pièges de la longueur, de la convenance et du sentiment de trop-plein qui accompagne souvent la satire. Jean-Paul Rouve, dans le rôle-titre, s’avère toutefois grandiose, s’appropriant le matériel et injectant une bonne dose d’humanité à un personnage et à un univers auxquels il aurait autrement été difficile d’adhérer.
Comédie de François Desagnat. Avec Jean-Paul Rouve, Julie Depardieu et Ramzy Bedia. France, 2022, 83 minutes. En salle.
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