RENCONTRES ESTIVALES #7. Maël Rannou, en véritable homme-orchestre de la bande dessinée, œuvre autant comme auteur que comme éditeur, bibliothécaire et chercheur. Combien possède-t-il de cerveaux et de mains ? Serait-il, même, d’origine extraterrestre ? Le nombre et la variété de ses activités et de ses écrits poussent à se poser la question. Il est surtout, et plus modestement, un grand passionné de la bande dessinée et de son histoire, avec la volonté de partager chevillée au corps, qu’il interroge d’ailleurs dans son fanzine Ceci est mon corps. Éditeur fidèle et bienveillant, il coordonne la revue Gorgonzola depuis plus de dix-sept ans pour L’Égouttoir, tout en écrivant régulièrement pour diverses publications journalistiques et universitaires.
Auteur et éditeur, bibliothécaire et enseignant, engagé en politique, étudiant aussi : comment faites-vous ?
La plupart de tout ça va ensemble. Je fais des fanzines depuis le lycée, je dessine (pas très bien) dedans, fais des scénarios, publie donc d’autres livres et des auteurs dans des zines, j’écris sur la bande dessinée, travaille dessus en bibliothèque (même si je suis responsable aussi d’autres secteurs)… Enseignant pas vraiment, je donne quelques cours et formations, mais c’est très anecdotique, et toujours sur la bande dessinée en bibliothèque (sujet auquel j’ai consacré un livre professionnel).
Cette année, j’ai surtout écrit ou travaillé pour des colloques et articles universitaires, en parallèle d’une collaboration régulière aux Cahiers de la BD. Mais ces travaux universitaires sont toujours sur la bande dessinée : mon master 1 était sur Pif Gadget et le communisme (une version très mise à jour sortira fin 2021 chez PLG Éditions), mon master 2 sur la naissance du fanzinat de bande dessinée en France et mon doctorat en Sciences de l’information et de la communication porte sur la bande dessinée québécoise et ses circulations avec l’espace francophone européen.
Tout ça est quand même souvent tourné vers le même sujet, même si avec la Covid, l’annulation des festivals et ma campagne électorale [1], la partie créative a un peu perdu du terrain. Je suis responsable d’une bibliothèque municipale et de son pôle adulte – pas que de la bande dessinée – mais à vrai dire je vais changer de poste dans quelques mois et me consacrer à 100 % à la bande dessinée. On en reparlera…
Pour la politique, c’est sans doute ce qui est le plus éloigné de la bande dessinée, même si j’ai pu raconter une campagne dans un fanzine de BD et que j’ai piloté la construction du projet culturel de la liste écologiste en Pays de la Loire. Malheureusement, nous n’avons pas gagné, et comme il y a peu d’élections dans les prochaines années auxquelles je compte me présenter (je ne profite donc pas de la tribune offerte par ActuaBD pour me lancer dans la présidentielle), je vais sans doute retourner à fond sur la bande dessinée.
En réalité, je suis parfois fatigué, mais encore une fois on est une année sans festival, j’ai mis l’énergie dans d’autres choses.
Pas de Gorgonzola depuis plus de deux ans et demi. Pourquoi ? Est-ce lié à ce que je souligne dans la question précédente ?
En partie en effet, trop de choses à faire oblige à hiérarchiser. Je fais Gorgonzola depuis plus de quinze ans et le prochain numéro est toujours prévu. Quasiment bouclé à vrai dire, mais il devait sortir pour le festival Fumetti [2] en juin 2020, et comme l’économie de notre structure, L’Égouttoir, est entièrement fondée sur la vente en festival, ça n’avait guère de sens de le sortir là. On a quelques espoirs pour la fin de cette année.
C’est sûr que c’est un peu étrange, car certaines pages ont été réalisées il y a deux ans par des gens qui travaillent différemment aujourd’hui, notamment de jeunes autrices et auteurs. Gorgonzola se spécialise dans un mélange entre création alternative – avec la volonté de représenter la diversité de la bande dessinée alternative, en suivant le vieux fantasme du lycéen que j’étais voulant faire découvrir à ses copains, pour pas cher, la BD qu’il aime – et dossier historique sur ce que j’appelle le « patrimoine contemporain ». Ces créations sont relativement récentes, mais totalement méconnues car produites uniquement dans des fanzines, la presse alternative, hors des histoires de la bande dessinée, ou approchées de manière très marginale. Dans le cas de l’auteur étudié dans le numéro à paraître, il s’agit de « 44 », un vrai météore des années 1990, au travail très brut et dur.
Cependant, si Gorgonzola n’est pas paru, nous avons tout de même publié un livre : Un Vent violent, dont nous avons sérigraphié la couverture manuellement avec mon frère, l’autrice C. de Trogoff et son compagnon. Cet ouvrage est sorti en librairie en mars et peut aussi se commander sur notre site. Nous en vendrons sans doute plus en festival, mais cela marque tout de même notre existence, et c’est un très bel ouvrage avec des adaptations de récits bibliques dans une approche plastique inhabituelle, mêlant dessins et collages, avec un souffle emballant.
J’ai toutefois un rapport vraiment « micro » à l’édition, j’aime les petits tirages et cette économie totalement informelle, j’aime l’impression de me dire que je peux rencontrer chaque lecteur de mes zines, échanger avec eux, créer de la discussion, et tout ça passe vraiment par les festivals. Il reste qu’avec la fin de la campagne des élections régionales et le fait que j’ai quasiment terminé de relire la dernière version de Pif Gadget et le communisme, cela va me laisser le temps d’enfin boucler ce Gorgonzola n° 25… et de passer au suivant. Et bien sûr, même si j’aime les festivals, il ne faut pas se priver de commander sur notre site même s’il est sérieusement old school.
Quelle autrice ou quel auteur récemment découvert rêveriez-vous d’éditer ?
Déjà, je dois dire que j’ai de la chance, beaucoup d’auteurs et d’autrices que je souhaite publier l’acceptent. Dernièrement l’auteur EMG, dont j’avais adoré Tremblez enfance Z46 chez Tanibis, a accepté de m’envoyer quelques pages. Bon, c’est dans le prochain numéro. Même chose avec les jeunes autrices Juliette Green ou Anouk Margot, que j’ai découvertes respectivement via un concours jeune talent du festival lausannois BDFIL et via des fanzines d’étudiants de l’EESI d’Angoulême.
Ces exemples montrent en tous cas une envie perpétuelle de découvrir de nouveaux auteurs, de mêler dans Gorgonzola des débutants et des professionnels déjà largement publiés. C’est toujours un grand plaisir de faire ça, mais les auteurs ne sont pas des Pokémon et je ne fais pas une quête « complétiste » pour tous les avoir.
Plus que de publier une fois un auteur, ce qui est intéressant, c’est de continuer au long cours comme cela s’est vu avec des gens devenus des piliers du fanzine : Yvang, Ernan Cirianni, Marko Turunen, Pedro Mancini, Imagex (auteur des années 1980 dont on republie des inédits), Alex Chauvel, Léo Louis Honoré, Cléry Dubourg, Aleksandar Zograf, Jean-François Biguet, Simon Hureau et beaucoup d’autres, qui ne doivent pas se vexer… Le problème, c’est qu’à chaque fois qu’on crée une relation, ça s’ajoute et on passe du Gorgonzola original de vingt pages au prochain numéro qui atteindra sans doute les deux cents.
Mais pour ne pas esquiver la question, il y a un certain nombre de contemporains dont j’admire le travail et que j’aimerai publier, particulièrement des autrices, Gorgonzola étant très majoritairement masculin. Il y a par exemple deux autrices que j’ai découvert il y a déjà plusieurs années, mais avec qui je ne désespère pas de travailler. Mais bon, on est un fanzine, on ne paie pas et on n’a pas non plus une forme particulièrement originale donc je comprends bien qu’elles aient autre chose à faire.
Mais je veux saluer le travail d’Elsa Abderhamani, dont le travail avec Bien, Monsieur. mais aussi récemment au FRAC Picardie me fascine vraiment. Parfois, je ne comprends pas tout aux choix plastiques, d’autres fois ils me percutent vraiment, c’est en tous cas un travail qui réussit vraiment à toucher des choses, en assumant une charge politique bienvenue.
L’autre autrice est Léa Murawiec, que je lis depuis ses zines chez Flûtiste et dont j’admire la capacité à aller vers une science-fiction alternative qui m’inspire beaucoup. J’ai toujours aimé l’idée de bande dessinée de genre pas condamnée à être une resucée des mêmes influences et topoï. Elle a vraiment une approche très fine et un dessin qui joue de manière intéressante, pas performative, mais quand même assez inventive avec le cadre.
Je note que les deux autrices citées publient désormais dans Biscoto, qui est une vraie tête chercheuse de talents originaux dans le paysage contemporain.
Mais notre entretien aurait lieu demain, je donnerais sans doute d’autres noms !
FH
Propos recueillis par Frédéric Hojlo.
En médaillon : couverture de l’ouvrage collectif Bibi avait tout prévu (septembre 2019).
Consulter la chaîne YouTube de Maël Rannou (vidéos d’interventions en colloques sur la bande dessinée), son blog & son tumblr dédié à Ceci est mon corps.
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- Visions hypnagogiques – Par Aleksandar Zograf – L’Égouttoir
- “Gorgonzola” (L’Égouttoir) : un fanzine qui dure
Voir en ligne : Consulter le site des Éditions L’Égouttoir.
[1Sur la liste EELV en Mayenne. NDLR.
[2Petit festival de BD qui a lieu l’été à Nantes. NDLR.
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