Moisés Naím — Traduit par Micha Cziffra
Temps de lecture: 4 min
Chaque année, environ un demi-million de personnes sont assassinées à travers le monde. Naturellement, ces crimes ont des effets dévastateurs sur la famille et les proches des victimes. Il arrive aussi que des meurtres atteignent non seulement parents et amis, mais que leurs conséquences soient beaucoup plus lourdes, au point parfois de changer le monde.
Ces assassinats dont les répercussions dépassent toutes les prévisions peuvent se révéler très coûteux. L’assassinat de l’archiduc autrichien François-Ferdinand en 1914, à Sarajevo, en est un exemple emblématique. Sa mort a déclenché une réaction en chaîne qui a mené à la Première Guerre mondiale et a coûté 40 millions de vies.
Récemment, d’autres assassinats lourds de conséquences ont été commis, tels que ceux du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, en octobre 2018, et du général iranien Qassem Soleimani, le 3 janvier 2020. Si ces deux victimes n’avaient absolument rien à voir l’une avec l’autre, elles ont quand même un important point commun: toutes deux ont été exécutées sur ordre d’un gouvernement.
Le journaliste saoudien a été tué par des agents de son propre gouvernement, mais le meurtre du général iranien a été ordonné par le président des États-Unis. Alors que Donald Trump se félicite de sa décision d’éliminer cet impitoyable dirigeant militaire iranien, le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, nie toute implication dans l’assassinat de Jamal Khashoggi, qui a été perpétré dans les locaux du consulat saoudien à Istanbul. Le prince rejette la responsabilité de ce crime sur des éléments incontrôlés de ses services secrets, dont certains ont déjà été accusés, jugés et condamnés à mort.
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Cependant, des enquêteurs du gouvernement turc et des journalistes du New York Times sont arrivés aux mêmes conclusions: les auteurs de l’enlèvement, du meurtre et du dépeçage du journaliste sont des agents proches de Mohammed ben Salmane venus exprès à Istanbul. Il est clair que le prince, âgé de 34 ans, a sous-estimé les conséquences que cet assassinat aurait sur sa réputation et sur l’image de son pays dans le monde. Jamal Khashoggi est déjà devenu un symbole des dangers extrêmes que courent les journalistes qui défient des régimes autoritaires prêts à tuer leurs détracteurs.
Bien qu’il soit trop tôt pour connaître l’ampleur réelle des répercussions de l’assassinat du général Soleimani, il ne fait aucun doute qu’elles seront importantes. Jusqu’ici, la réaction de Téhéran a été modérée et le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, ainsi que le président Trump semblent tous deux montrer qu’ils veulent éviter une escalade militaire.
Mais il est hasardeux de supposer que la réaction iranienne se cantonnera au lancement d’une douzaine de missiles contre deux bases situées en Irak. Cette attaque n’a pas fait de victimes, ni de dégâts matériels importants. Téhéran n’a pas pour habitude de répliquer immédiatement quand ses adversaires l’agressent et préfère attendre avant de les frapper à l’endroit et au moment où ils s’y attendent le moins.
Exemples: en 2012, un scientifique iranien de premier plan, dont les travaux avaient des applications militaires considérables, a été assassiné. Le gouvernement iranien a accusé Israël de ce meurtre. Plus d’un mois après, des diplomates israéliens ont été attaqués en Géorgie, en Inde et en Thaïlande, des pays qui n’ont rien à voir avec l’assassinat de ce scientifique iranien. En 1992, Israël a tué un responsable du Hezbollah. Deux mois plus tard, un kamikaze contrôlé par l’Iran a forcé l’entrée de l’ambassade d’Israël à Buenos Aires au volant d’un camion chargé d’explosifs, tuant vingt-neuf personnes.
Les répercussions de la décision de supprimer le général Soleimani seront nombreuses et diverses, mais on peut déjà en distinguer deux. La première est que la présence militaire des États-Unis au Moyen-Orient sera renforcée, au moins à court terme. «Ramener les soldats à la maison» était une promesse électorale et reste un slogan fréquemment utilisé par le président Trump. Cette promesse, qui s’avérait déjà difficile à tenir, semble à présent vaine.
La deuxième conséquence du meurtre du général Soleimani est que l’accord sur le nucléaire iranien, par lequel la République islamique s’est engagée à limiter son programme nucléaire, est caduc. En effet, l’Iran a déjà annoncé qu’il commencera à enrichir de l’uranium au-delà des limites convenues, ce que le pays n’avait pas fait depuis la signature de l’accord de 2015.
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L’assassinat du général iranien représente également une leçon de plus en plus importante –quoiqu’inattendue– pour les ennemis de l’Amérique: il leur faut absolument disposer d’armes nucléaires afin de se défendre. Ils savent que Donald Trump n’essaierait jamais de faire à la Corée du Nord, par exemple, ce qu’il s’est permis envers Téhéran. Kim Jong-un, le leader nord-coréen, a la capacité de répliquer par une frappe nucléaire. Ce n’est qu’un exemple de la manière dont le meurtre du général Soleimani pourrait aiguillonner la prolifération nucléaire. Une situation qui nous met tous et toutes en péril.
L’histoire montre que dans la plupart des cas, les réactions des grandes puissances à des attaques ont des conséquences plus durables que ces attaques elles-mêmes. Par exemple, on estime que les attentats terroristes du 11 septembre 2001 contre les États-Unis ont coûté 500.000 dollars à Al-Qaida et fait environ 3.000 morts. La réaction de Washington à ces attentats terroristes a déclenché les guerres en Irak et en Afghanistan –les plus longues de l’histoire américaine– qui ont fait des centaines de milliers de morts civils et militaires dans divers pays et dont le coût économique est incalculable.
L’élimination du général Soleimani, qui était sans aucun doute un dangereux terroriste, présentera certainement des avantages pour les États-Unis et leurs alliés. Mais elle aura aussi des coûts très élevés, dont beaucoup sont imprévisibles et, pour le moment, invisibles. L’assassinat du général Soleimani peut finir par coûter très cher.
Moisés Naím
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