Richard Arzt
Temps de lecture: 8 min
À sa manière, pas vraiment nuancée, Donald Trump a provoqué un séisme politique en Chine. Il est le premier président américain à avoir décidé de contrer l’expansionnisme commercial chinois. Tout a commencé en mars 2018. Donald Trump fait alors savoir qu’il envisage d’infliger des surtaxes de 10 à 25% sur l’acier et l’aluminium chinois. Un mois plus tard, il vise les produits chinois de l’aéronautique, des technologies de l’information et de la robotique. Tous ces secteurs représentent 250 milliards de dollars et contiennent, affirme la Maison-Blanche, des procédés que des entreprises américaines ont été obligées de transférer à des entreprises chinoises ou que celles-ci ont pillés.
Dans un premier temps, le président Xi Jinping promet, lui, une «nouvelle phase» d’ouverture de l’économie chinoise. Il parle de créer en Chine des ports francs, de rendre plus facile l’accès des entreprises étrangères aux services bancaires et financiers et «d’abaisser significativement» les tarifs douaniers sur les produits importés, à commencer par ceux qui pèsent sur l’automobile.
À LIRE AUSSI Tensions commerciales au bord de l’explosion entre la Chine et les États-Unis
Cela fait un an que les discussions se poursuivent produit par produit. Les Chinois ont systématiquement répliqué aux augmentations de taxes décrétées par les États-Unis en annonçant qu’ils frapperaient d’un montant équivalent des produits américains. La menace concerne en particulier le soja américain. Il est importé pour nourrir des porcs chinois et provient de fermes du Midwest où les agriculteurs sont le plus souvent des électeurs de Donald Trump.
Mais la négociation est difficile pour la Chine. L’économie du pays n’est plus aussi en forme qu’il y a une dizaine d’années lorsque le taux de croissance dépassait les 10%. En 2018, ce chiffre a été de 6,6%. Pour 2019, le gouvernement chinois l’envisage entre 6 et 6,5%. Ce qui sera difficile à atteindre, selon des professeurs d’économie locaux.
Étant donné cette croissance amoindrie, le pouvoir chinois préfèrerait évidemment éviter les droits de douanes supplémentaires qu’annonçait l‘Amérique de Donald Trump. Début décembre 2018, au sommet du G20 de Buenos Aires, lors d’une rencontre avec Xi Jinping, le président américain a accepté de ne pas mettre trop rapidement en place ces nouvelles taxes américaines. Ce devait être début mars et on parle désormais de la mi-avril. Ce report entre dans le cadre des négociations en cours et permet à l’évidence d’accentuer la pression sur les gouvernants chinois. Côté américain, les discussions sont menées par le représentant au commerce, Robert Lighthizer, qui appartient nettement au clan des faucons de l’administration Trump. Une tendance qui se déploie face à la montée en puissance de la Chine.
À LIRE AUSSI La Chine et les limites de la croissance

Fin janvier 2019, Lu He, un proche conseiller de Xi Jinping, est allé à Washington pour parler avec Donald Trump. À l’époque, la rencontre à Hanoi du président américain avec le leader coréen Kim Jong-un se précisait. Côté chinois, on souhaitait que Donald Trump profite de ce rendez-vous au Vietnam pour venir en Chine et conclure solennellement avec Xi Jinping un accord commercial sino-américain. Mais rien ne s’est déroulé ainsi. D’une part, le 28 février, le sommet Trump-Kim Jung-un n’a pas eu les résultats espérés par Donald Trump et, d’autre part, les négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine n’étaient toujours pas achevées. Et elles durent encore.

Le système chinois de prise de décision ne simplifie sans doute pas ces discussions. Au sein du Parti communiste, une large concertation des nombreux dirigeants concernés par le commerce extérieur est nécessaire avant toute prise de position. À chaque étape, l’entourage de Xi Jinping doit répondre à des demandes de prise en compte de positions chinoises très diverses selon les secteurs de l’économie. L’avantage est qu’une fois dans la négociation avec les Américains, chaque argument chinois a été largement validé en interne. Mais le processus prend du temps. Et rien ne semble être fait en Chine pour faciliter les discussions des négociateurs nommés par Xi Jinping.
Plusieurs signes indiquent qu’aux yeux du président chinois, cette concertation systématique des hautes instances du Parti apparaît excessive. Ce qui explique probablement que, pendant les mois précédant la réunion annuelle de l’Assemblée nationale populaire qui s’est tenue du 5 au 15 mars, il n’y a pas eu cette année les deux sessions habituelles du Comité central du Parti communiste pendant lesquelles 200 délégués se penchent préalablement sur les questions gouvernementales. Tout porte à croire que la direction du PC préférait éviter des débats difficiles, précisément sur la conduite à tenir face aux États-Unis.
À LIRE AUSSI Donald Trump n’a même pas réalisé qu’il avait perdu le face-à-face avec Kim Jong-un
Ensuite, lors de cette réunion de l’Assemblée, les questions commerciales et la relation de la Chine et des États-Unis vont être abordées mais avec discrétion. Les réunions de commission qui peuvent traiter de ces sujets ne sont pas ouvertes à la presse. Les ralentissements économiques, en partie provoqués par l’attitude américaine, sont évoqués à demi-mot quand, le 5 mars, devant les quelque 3.000 députés de l’Assemblée, le Premier ministre lâche dans son discours d’ouverture de la session: «La conjoncture tant nationale qu’internationale a fait basculer notre développement dans un environnement d’une grande dureté et complexité.» Le Premier ministre a ensuite annoncé un «plan de bataille» avec une série de mesures pour doper l’activité en Chine. Cela va d’une baisse des charges pour les entreprises (d’un montant équivalent à 260 milliards d’euros) à la possibilité pour les collectivités locales de s’endetter à hauteur de 100 milliards de plus que ce qui était préalablement permis.
Une réponse officielle aux pressions américaines intervient le 15 mars, dernier jour de la session de l’Assemblée chinoise sous la forme d’une loi «destinée à faciliter et protéger les investissements étrangers». Ce texte met fin aux obligations de transfert de technologies que la Chine exigeait des entreprises qui investissent dans son économie. Il interdit «le recours à des moyens administratifs pour forcer les firmes étrangères à transférer leurs technologies». La loi –adoptée à 2.929 voix pour, huit contre et huit abstentions– entrera en vigueur le 1er janvier 2020. Elle permettra, selon le commentaire du Quotidien du Peuple d’établir «une concurrence loyale» entre entreprises chinoises et étrangères sur le marché chinois.
À LIRE AUSSI Trump et Xi Jinping: similitudes fondamentales, différences superficielles
Ce même matin du 15 mars, le Premier ministre Li Keqiang vient parler de l’actualité chinoise en conférence de presse. C’est le seul moment de l’année où un haut dirigeant chinois participe à un tel exercice. Les journalistes, chinois ou non, ont dû faire connaître, dans les quinze jours précédents, le thème et la formulation de ce qu’ils veulent demander. En réponse à une question dont il connaît donc la teneur, Li Kejiang indique d’abord qu’une nouvelle loi va renforcer en Chine la protection de la propriété intellectuelle étrangère. Dans une autre réponse, il dit «espérer que les négociations sino-américaines déboucheront sur des résultats gagnant-gagnant et mutuellement bénéfiques». En insistant: «La Chine et les États-Unis sont devenus étroitement liés à travers des années de développement et de coopération, il n’est ni réaliste ni possible de dissocier les deux économies.»
Manifestement, les négociateurs américains ne sont pas aussi conciliants. Les contacts entre responsables du commerce américains et chinois se font par téléphone ou par vidéoconférence. Et régulièrement, des fonctionnaires de Washington viennent quelques jours à Pékin pour aborder des points précis. Dans le détail, il semble que les Chinois se sont engagés récemment à ouvrir davantage leur marché à la viande de bœuf américaine et aux produits chimiques. Les tarifs douaniers chinois qui frappent l’importation d’automobiles américaines seraient abaissés sous le seuil actuel de 15%. Par ailleurs, il a été convenu que des entreprises chinoises achèteront davantage de gaz naturel aux États-Unis. En échange, les négociateurs chinois demandent que soient supprimées les barrières douanières mises en place depuis un an par Donald Trump.
«Il semble évident que les actions récentes lancées contre des entreprises et des individus chinois représentent très clairement une répression politique délibérée.»
Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères
Les discussions ne sont pas facilitées par les sévères mises en cause américaines à l’encontre de Huawei, le puissant groupe de télécommunications chinois en pointe dans le déploiement de la 5G, l’internet de la cinquième génération. Les États-Unis accusent Huawei d’avoir vendu du matériel en Iran, violant ainsi l’embargo décrété par Washington à l’encontre de ce pays, et par ailleurs d’avoir volé des technologies appartenant au groupe américain T-Mobile. Washington demande que la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, qui a été arrêtée au Canada soit extradée vers les États-Unis. Elle est la fille du créateur de Huawei, un milliardaire proche du pouvoir à Pékin. Huawei a attaqué en justice le gouvernement américain. Et Wang Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères a fait ce commentaire: «Il semble évident que les actions récentes lancées contre des entreprises et des individus chinois ne sont pas seulement des affaires judiciaires classiques, mais représentent très clairement une répression politique délibérée.»
À LIRE AUSSI Guerre commerciale: et si Trump avait raison?
La relation sino-américaine est de plus en plus tendue. «La danse que mènent les Chinois et les Américains actuellement est plutôt difficile à décoder», estime Jean-François di Meglio, président d’Asia-Centre. «Les Chinois ont sans doute envie d’avancer. Ils ont besoin que la négociation avec Washington se règle. Mais il n’est pas question pour eux de montrer une faiblesse et de prendre le risque de perdre la face. Or c’est ce qui arriverait s’ils font des concessions et que Trump recule encore un accord.»
Dans ce contexte, Xi Jinping vient en Europe le 21 mars. Il commence par l’Italie, passe ensuite une demi-journée à Monaco puis, le dimanche 24 au soir, il dine à Beaulieu avec Emmanuel Macron avant, le 25 et le 26, d’être en visite d’État à Paris. Une source élyséenne fait savoir qu’il n’est «pas question pour la France de s’aligner sur les positions américaines» et que de toute façon le dossier des relations commerciales sino-européennes relève d’une compétence de l’Union européenne. Celle-ci, depuis quelques semaines, cherche à mettre au point une réponse commune aux ambitions chinoises. Pour préciser tout cela au Président chinois, Emmanuel Macron a invité à Paris la chancelière Merkel et le Président de la commission européenne, Jean-Claude Junker.
Le 27 mars Xi Jinping sera aux États-Unis. Rien n’indique qu’un accord commercial sino-américain pourrait alors se conclure. Donald Trump ne manque pas une occasion de dire l’amitié qu’il porte à Xi Jinping tout en exprimant régulièrement son «optimisme sur un futur accord commercial entre les États-Unis et la Chine». Mais le 20 mars le président américain a aussi annoncé que les tarifs douaniers que les États-Unis ont imposés à la Chine pourraient rester en place «pour une période conséquente». Il a d’ailleurs prévenu: «Nous voulons être sûrs que si nous concluons un accord avec la Chine, celle-ci le respectera.» Dans ces conditions et jusqu’à nouvel ordre, la négociation se poursuit entre Washington et Pékin.
Richard Arzt
Covid incontrôlable et économie en berne: les gros ennuis de Xi Jinping
Conquête de l’espace: États-Unis et Chine fourbissent leurs armes
Pourquoi la Chine a brusquement mis fin à sa politique zéro Covid
Newsletters
La quotidienne
de Slate
Une sélection personnalisée des articles de Slate tous les matins dans votre boîte mail.
La kotiidienne
de korii.
Retrouvez chaque matin le meilleur des articles de korii, le site biz et tech par Slate.
Avec son parking sous-marin interdit aux voitures, Amsterdam bichonne les cyclistes
Cette nouvelle infrastructure n’est pas sans défaut, mais elle témoigne d’une volonté politique forte.
Repéré par Thomas Messias 29 janvier 2023 Temps de lecture : 2 min
Avant de mourir, Nikola Tesla a-t-il inventé une arme de destruction massive surpuissante?
Dans ses vieux jours, l’inventeur serbo-américain dévoila un nouveau projet, la «téléforce». Gadget d’apocalypse ou délire gâteux?
Nicolas Méra 29 janvier 2023 Temps de lecture : 3 min
La triste et gargantuesque histoire de Charles Byrne, le «géant irlandais»
Après 225 années passées derrière la vitre d’un musée, les ossements de cet Irlandais du XVIIIe siècle vont être retirés de la vue du public. Mais leur avenir est encore incertain.
Thomas Andrei 29 janvier 2023 Temps de lecture : 9 min

source

Catégorisé: